iete ou leur admiration
par des cris, des prosternations et des invocations de bras tendus
vers moi. Les ministres, inquiets de l'audace d'Aor, deliberaient
entre eux s'ils ne devaient pas m'interdire d'exposer ainsi ma vie
precieuse au salut de l'empire; mais Aor jouant toujours de la flute
sur ma tete au ras du flot et ma trompe relevee comme le cou d'un
paon gigantesque temoignaient de notre securite. Quand nous revenions
lentement et paisiblement au rivage, tous accouraient vers moi avec
des genuflexions ou des cris de triomphe, et mon orchestre dechirait
les airs de ses fanfares eclatantes. Cet orchestre ne me plut pas le
premier jour. Il se composait de trompettes au son aigu, de trompes
enormes, de gongs effroyables, de castagnettes de bambou et de
tambours portes par des elephants de service. Ces tambours etaient
formes d'une cage ronde richement travaillee au centre de laquelle un
homme accroupi sur ses jambes croisees frappait tour a tour avec deux
baguettes sur une gamme de cymbales sonores. Une autre cage, semblable
exterieurement, etait munie de timbales de divers metaux, et le
musicien, egalement assis au centre et porte par un elephant, en
tirait de puissants accords. Ce grand bruit d'instruments terribles
choqua d'abord mon oreille delicate. Je m'y habituai pourtant, et je
pris plaisir aux etranges harmonies qui proclamaient ma gloire aux
quatre vents du ciel. Mais je preferai toujours la musique de
salon, la douce harpe birmane, gracieuse imitation des jonques de
l'Iraouaddy, le _caiman_, harmonica aux touches d'acier, dont les sons
ont une purete angelique, et par-dessus tout la suave melodie que me
faisait entendre Aor sur sa flute de roseau.
"Un jour qu'il jouait sur un certain rhythme saccade, au milieu du
fleuve, nous fumes entoures d'une foule innombrable de gros poissons
dores a la maniere des pagodes qui dressaient leur tete hors de l'eau
comme pour nous implorer. Aor leur jeta un peu de riz dont il avait
toujours un petit sac dans sa ceinture. Ils manifesterent une grand
joie et nous accompagnerent jusqu'au rivage, et, comme la foule se
recriait, je pris delicatement un de ces poissons et le presentai
au premier ministre, qui le baisa et ordonna que sa dorure fut vite
rehaussee d'une nouvelle couche; apres quoi, on le remit dans l'eau
avec respect. J'appris ainsi que c'etaient les poissons sacres de
l'Iraouaddy, qui resident en un seul point du fleuve et qui viennent
a l'appel de la voix huma
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