le majestueux Erambert l'avait saisie par le
bras, et vite elle s'etait mise a rire et a grimacer en reprenant sa
figure d'idiote. Pourtant, au moment ou Emmi allait repondre, elle lui
lanca un regard suppliant ou se peignait un grand effroi. Emmi avait
ete eleve dans la crainte des gendarmes, et il s'imagina que, s'il
accusait la vieille, Erambert allait lui trancher la tete avec son
grand sabre. Il eut pitie d'elle et repondit:
--Laissez-la, monsieur, c'est une femme folle et imbecile qui m'a fait
peur, mais qui ne voulait pas me faire de mal.
--La connaissez-vous? n'est-ce pas la Catiche? une femme qui fait
semblant _de_ ce qu'elle n'est pas? Dites la verite.
Un nouveau regard de la mendiante donna a Emmi le courage de mentir
pour lui sauver la vie.
--Je la connais, dit-il, c'est une _innocente_.
--Je saurai _de_ ce qui en est, repondit le beau gendarme en laissant
aller la Catiche. Circulez, vieille femme, mais n'oubliez pas que
depuis longtemps j'ai l'oeil sur vous.
La Catiche s'enfuit, et le gendarme s'eloigna. Emmi, qui avait eu
encore plus peur de lui que de la vieille, tenait toujours la blouse
du pere Vincent. C'etait le nom du paysan qui s'etait trouve la pour
le proteger, et qui avait une bonne figure douce et gaie.
--Ah ca! petit, dit ce bonhomme a Emmi, tu vas me lacher a la fin? Tu
n'as plus rien a craindre; qu'est-ce que tu veux de moi? cherches-tu
ta vie? veux-tu un sou?
--Non, merci, dit Emmi, mais j'ai peur a present de tout ce monde ou
me voila seul sans savoir de quel cote me tourner.
--Et ou voudrais-tu aller?
--Je voudrais retourner dans ma foret de Cernas sans passer par
Oursines-les-Bois.
--Tu demeures a Cernas? C'est bien aise de t'y mener, puisque de ce
pas je m'en vas dans la foret. Tu n'auras qu'a me suivre; j'entre
souper sous la ramee, attends-moi au pied de cette croix, je
reviendrai te prendre.
Emmi trouva que la croix du village etait encore trop pres de la
baraque des saltimbanques; il aima mieux suivre le pere Vincent sous
la ramee, d'autant plus qu'il avait besoin de se restaurer avant de se
mettre en route.
--Si vous n'avez pas honte de moi, lui dit-il, permettez-moi de manger
mon pain et mon fromage a cote de vous. J'ai de quoi payer ma depense:
tenez, voila ma bourse, vous payerez pour nous deux, car je souhaite
payer aussi votre diner.
--Diable! s'ecria en riant le pere Vincent, voila un gars bien honnete
et bien genereux; mais j'ai l'estomac creu
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