s et de caresses.
"--Vous voyez bien, disait-il a ses compagnons, que celui-ci est un
ange et un saint, jamais elephant blanc n'a ete employe aux travaux
grossiers ni aux actes de violence. Il n'est fait ni pour la chasse,
ni pour la guerre, ni pour porter des fardeaux, ni pour servir de
monture dans les voyages. Les rois eux-memes ne se permettent pas de
s'asseoir sur lui, et vous voulez qu'il s'abaisse a vous aider au
domptage? Non, vous ne comprenez pas sa grandeur et vous outragez son
rang! Ce que vous avez tente de faire attirera sur vous la puissance
des mauvais esprits.
"Et, comme on remontrait a mon ami qu'il avait lui-meme travaille a me
dompter:
"--Je ne l'ai dompte, repondait-il, qu'avec mes douces paroles et le
son de ma flute. S'il me permet de le monter, c'est qu'il a reconnu en
moi son serviteur fidele, son _mahout_ devoue. Sachez bien que le jour
ou l'on nous separerait, l'un de nous mourrait; et souhaitez que ce
soit moi, car du salut de _la Fleur sacree_ dependent la richesse et
la gloire de votre tribu.
"_La Fleur sacree_ etait le nom qu'il m'avait donne et que nul
ne songeait a me contester. Les paroles de mon mahout m'avaient
profondement penetre. Je sentis que sans lui on m'eut avili, et je
devins d'autant plus fier et plus independant. Je resolus (et je me
tins parole) de ne jamais agir que par son conseil, et tous deux
d'accord nous eloignames de nous quiconque ne nous traitait pas avec
un profond respect. On lui avait offert de me donner pour societe les
elephants les plus beaux et les mieux dresses. Je refusai absolument
de les admettre aupres de ma personne, et, seul avec Aor, je ne
m'ennuyai jamais.
"J'avais environ quinze ans, et ma taille depassait deja de beaucoup
celle des elephants adultes de l'Inde, lorsque nos deputes revinrent
annoncant que, le radjah des Birmans ayant fait les plus belles
offres, le marche etait conclu. On avait agi avec prudence. On ne
s'etait adresse a aucun des souverains du royaume de Siam, parce
qu'ils eussent pu me revendiquer comme etant ne sur leurs terres et
ne vouloir rien payer pour m'acquerir. Je fus donc adjuge au roi de
Pagham et conduit de nuit tres-mysterieusement le long des cotes de
Tenasserim jusqu'a Martaban, d'ou, apres avoir traverse les monts
Karens, nous gagnames les rives du beau fleuve Iraouaddy.
"Il m'en avait coute de quitter ma patrie et mes forets; je n'y eusse
jamais consenti, si Aor ne m'eut dit sur sa flute que la gloire
|