de la delivrance.
Aor etait devenu bouddhiste fervent en Birmanie et ne vivait plus que
de vegetaux. Notre subsistance etait assuree, et nous ne connaissions
plus ni la souffrance ni la maladie.
"Mais le temps marchait, et Aor etait devenu vieux. J'avais vu ses
cheveux blanchir et ses forces decroitre. Il me fit comprendre les
effets de l'age et m'annonca qu'il mourrait bientot. Je prolongeai sa
vie en lui epargnant toute fatigue et tout soin. Un moment vint ou il
ne put pourvoir a ses besoins, je lui apportais sa nourriture et je
construisais ses abris. Il perdit la chaleur du sang, et, pour se
rechauffer, il ne quittait plus le contact de mon corps. Un jour,
il me pria de lui creuser une fosse parce qu'il se sentait mourir.
J'obeis, il s'y coucha sur un lit d'herbages, enlaca ses bras autour
de ma trompe et me dit adieu. Puis ses bras retomberent, il resta
immobile, et son corps se raidit.
"Il n'etait plus. Je recouvris la fosse comme il me l'avait commande,
et je me couchai dessus. Avais-je bien compris la mort? Je le pense,
et pourtant je ne me demandai pas si la longevite de ma race me
condamnait a lui survivre beaucoup. Je ne pris pas la resolution de
mourir aussi. Je pleurai et j'oubliai de manger. Quand la nuit fut
passee, je n'eus aucune idee d'aller au bain ni de me mouvoir. Je
restai plonge dans un accablement absolu. La nuit suivante me trouva
inerte et indifferent. Le soleil revint encore une fois et me trouva
mort.
"L'ame fidele et genereuse d'Aor avait-elle passe en moi? Peut-etre.
J'ai appris dans d'autres existences qu'apres ma disparition l'empire
birman avait eprouve de grands revers. La royale ville de Pagham fut
abandonnee par le conseil des pretres de Gautama. Le Bouddha etait
irrite du peu de soin qu'on avait eu de moi, ma fuite temoignait
de son mecontentement. Les riches emporterent leurs tresors et se
batirent de nouveaux palais sur le territoire d'Ava; plus tard, ils
abandonnerent encore cette ville somptueuse pour Amarapoura. Les
pauvres emporterent a dos de chameau leurs maisons de rotin pour
suivre les maitres du pays loin de la cite maudite. Pagham avait ete
le sejour et l'orgueil de quarante-cinq rois consecutifs, je l'avais
condamnee en la quittant, elle n'est plus aujourd'hui qu'un grandiose
amas de ruines.
--Votre histoire m'a amusee, dit alors a sir William la petite fille
qui lui avait deja parle; mais a present, puisque nous avons tous ete
des betes avant d'etre des perso
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