t d'une sereine
quietude. Les plantes vigoureuses, a peine abattues par l'ete torride,
semblaient partager notre bien-etre et se retremper a la source de la
vie. Les belles lianes de diverses especes poussaient leurs festons
prodigieux et les enlacaient aux branches des cinnamomes et des
gardenias en fleurs. Nous dormions a l'ombre parfumee des mangliers,
des bananiers, des baumiers et des cannelliers. Nous avions plus de
plantes qu'il ne nous en fallait pour satisfaire notre vaste et frugal
appetit. Nous meprisions les carnassiers perfides; nous ne permettions
pas aux tigres d'approcher de nos paturages. Les antilopes, les oryx,
les singes recherchaient notre protection. Des oiseaux admirables
venaient se poser sur nous par bandes pour nous aider a notre
toilette. Le _nocariam_ l'oiseau geant, peut-etre disparu aujourd'hui,
s'approchait de nous sans crainte pour partager nos recoltes.
"Nous vivions seuls, ma mere et moi, ne nous melant pas aux troupes
nombreuses des elephants vulgaires, plus petits et d'un pelage
different du notre. Etions-nous d'une race differente? Je ne l'ai
jamais su. L'elephant blanc est si rare, qu'on le regarde comme une
anomalie, et les Indiens le considerent comme une incarnation divine.
Quand un de ceux qui vivent dans les temples d'une nation hindoue
cesse de vivre, on lui rend les memes honneurs funeraires qu'aux rois,
et souvent de longues annees s'ecoulent avant qu'on lui trouve un
successeur.
"Notre haute taille effrayait-elle les autres elephants? Nous etions
de ceux qu'on appelle solitaires et qui ne font partie d'aucun
troupeau sous les ordres d'un guide de leur espece. On ne nous
disputait aucune place, et nous nous transportions d'une region a
l'autre, changeant de climat sur cette arete de montagnes, selon
notre caprice et les besoins de notre nourriture. Nous preferions
la serenite des sommets ombrages aux sombres embuches de la jungle
peuplee de serpents monstrueux, herissee de cactus et d'autres plantes
epineuses ou vivent des insectes irritants. En cherchant la canne a
sucre sous des bambous d'une hauteur colossale, nous nous arretions
quelquefois pour jeter un coup d'oeil sur les paletuviers des rivages;
mais ma mere, defiante, semblait deviner que nos robes blanches
pouvaient attirer le regard des hommes, et nous retournions vite a la
region des arequiers et des cocotiers, ces grandes vigies plantees
au-dessus des jungles comme pour balancer librement dans un air plus
pu
|