ait ferme, et j'aimais a penetrer dans
ces hautes et sombres chapelles ou la figure colossale de Gautama,
ruisselante d'or, se dressait comme un soleil au fond des niches
eclairees d'en haut. Je croyais revoir le soleil de mon desert et
je m'agenouillais devant lui, donnant ainsi l'exemple aux croyants,
edifies de ma piete. Je savais meme presenter des offrandes a
l'idole veneree, et balancer devant elle l'encensoir d'or. Le roi me
cherissait et veillait avec soin a ce que ma maison fut toujours tenue
sur le meme pied que la sienne.
"Mais aucun bonheur terrestre ne peut durer. Ce digne souverain
s'engagea dans une guerre funeste contre un Etat voisin. Il fut vaincu
et detrone. L'usurpateur le relegua dans l'exil et ne lui permit pas
de m'emmener. Il me garda comme un signe de sa puissance et un gage de
son alliance avec le Bouddha; mais il n'avait pour moi ni amitie ni
veneration, et mon service fut bientot neglige. Aor s'en affecta et
s'en plaignit. Les serviteurs du nouveau prince le prirent en haine
et resolurent de se defaire de lui. Un soir, comme nous dormions
ensemble, ils penetrerent sans bruit chez moi et le frapperent d'un
poignard. Eveille par ses cris, je fondis sur les assassins, qui
prirent la fuite. Mon pauvre Aor etait evanoui, son sarong etait
tache de sang. Je pris dans le bassin d'argent toute l'eau dont je
l'aspergeai sans pouvoir le ranimer. Alors, je me souvins du medecin
qui etait toujours de service dans la piece voisine, j'allai
l'eveiller et je l'amenai aupres d'Aor. Mon ami fut bien soigne et
revint a la vie; mais il resta longtemps affaibli par la perte de son
sang, et je ne voulus plus sortir ni me baigner sans lui. La douleur
m'accablait, je refusais de manger; toujours couche pres de lui, je
versais des larmes et lui parlais avec mes yeux et mes oreilles pour
le supplier de guerir.
"On ne rechercha pas les assassins; on pretendit que j'avais blesse
Aor par megarde avec une de mes defenses, et on parla de me les scier.
Aor s'indigna et jura qu'il avait ete frappe avec un stylet. Le
medecin, qui savait bien a quoi s'en tenir, n'osa pas affirmer la
verite. Il conseilla meme a mon ami de se taire, s'il ne voulait hater
le triomphe des ennemis qui avaient jure sa perte.
"Alors, un profond chagrin s'empara de moi, et la vie civilisee a
laquelle on m'avait initie me parut la plus amere des servitudes. Mon
bonheur dependait du caprice d'un prince qui ne savait ou ne voulait
pas proteger les
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