'un _sarong_ ou
calecon blanc, entra seul et resolument dans ma prison en portant une
auge de farine de riz sale et melange a un corps huileux. Il me la
presenta a genoux en me disant d'une voix douce des paroles ou je
distinguai je ne sais quelle intention affectueuse et caressante. Je
le laissai me supplier jusqu'au moment ou, vaincu par ses prieres, je
mangeai devant lui. Pendant que je savourais ce mets rafraichissant,
il m'eventait avec une feuille de palmier et me chantait quelque chose
de triste que j'ecoutais avec etonnement. Il revint un peu plus tard
et me joua sur une petite flute de roseau je ne sais quel air plaintif
qui me fit comprendre la pitie que je lui inspirais. Je le laissai
baiser mon front et mes oreilles. Peu a peu, je lui permis de me
laver, de me debarrasser des epines qui me genaient et de s'asseoir
entre mes jambes. Enfin, au bout d'un temps que je ne puis preciser,
je sentis qu'il m'aimait et que je l'aimais aussi. Des lors, je fus
dompte, le passe s'effaca de ma memoire, et je consentis a le suivre
sur le rivage sans songer a m'echapper.
"Je vecus, je crois, deux ans seul avec lui. Il avait pour moi des
soins si tendres, qu'il remplacait ma mere et que je ne pensai plus
jamais a le quitter. Pourtant je ne lui appartenais pas. La tribu qui
s'etait emparee de moi devait se partager le prix qui serait offert
par les plus riches radjahs de l'Inde des qu'ils seraient informes de
mon existence. On avait donc fait un arrangement pour tirer de moi le
meilleur parti possible. La tribu avait envoye des deputes dans toutes
les cours des deux peninsules pour me vendre au plus offrant, et, en
attendant leur retour, j'etais confie a ce jeune homme, nomme Aor, qui
etait repute le plus habile de tous dans l'art d'apprivoiser et de
soigner les etres de mon espece. Il n'etait pas chasseur, il n'avait
pas aide au meurtre de ma mere. Je pouvais l'aimer sans remords.
"Bientot je compris la parole humaine, qu'a toute heure il me faisait
entendre. Je ne me rendais pas compte des mots, mais l'inflexion de
chaque syllabe me revelait sa pensee aussi clairement que si j'eusse
appris sa langue. Plus tard, je compris de meme cette musique de la
parole humaine en quelque langue qu'elle arrivat a mon oreille. Quand
c'etait de la musique chantee par la voix ou les instruments, je
comprenais encore mieux.
"J'arrivai donc a savoir de mon ami que je devais me derober aux
regards des hommes parce que quiconque me verrai
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