ne craignez rien, il comprend ce
qu'on lui dit.--Voyez, me dit-elle, voyez ce cher poupon, c'est ce
qu'il y a de plus precieux dans la maison. Aimez-le bien, touchez-y
doucement, ayez-en le plus grand soin. Vous m'entendez bien, Fadet,
n'est-ce pas? Vous aimerez ce cher enfant.
"Et, devant moi, elle le baisa et le serra doucement contre son coeur.
"J'avais parfaitement compris. Je demandai par mes regards et mes
manieres a baiser aussi cette chere creature. La grand'mere approcha
de moi sa petite main en me disant encore:
"--Bien doucement, Fadet, bien doucement!
"Je lechai la petite main et trouvai l'enfant si joli, que je ne pus
me defendre d'effleurer sa joue rose avec ma langue, mais ce fut si
delicatement qu'il n'eut pas peur de moi, et c'est moi qui, un peu
plus tard, obtins son premier sourire.
"Un autre enfant vint deux ans apres, c'etaient alors deux petites
filles. L'ainee me cherissait deja. La seconde fit de meme, et on
me permettait de me rouler avec elle sur les tapis. Les parents
craignaient un peu ma petulance, mais la grand'mere m'honorait d'une
confiance que j'avais a coeur de meriter. Elle me repetait de temps en
temps:
"--Bien doucement, Fadet, bien doucement!
"Aussi n'eut-on jamais le moindre reproche a m'adresser. Jamais, dans
mes plus grandes gaietes, je ne mordillai leurs mains jusqu'a les
rougir, jamais je ne dechirai leurs robes, jamais je ne leur mis mes
pattes dans la figure. Et pourtant Dieu sait que, dans leur jeune age,
elles abuserent souvent de ma bonte, jusqu'a me faire souffrir. Je
compris qu'elles ne savaient ce qu'elles faisaient, et ne me fachai
jamais. Elles imaginerent un jour de m'atteler a leur petite voiture
de jardinage et d'y mettre leurs poupees! Je me laissai harnacher et
atteler, Dieu sait comme, et je trainai raisonnablement la voiture et
les poupees aussi longtemps qu'on voulut. J'avoue qu'il y avait un peu
de vanite dans mon fait parce que les domestiques etaient emerveilles
de ma docilite.
"--Ce n'est pas un chien, disaient-ils, c'est un cheval!
"Et toute la journee les petites filles m'appelerent cheval blanc, ce
qui, je dois le confesser, me flatta infiniment.
"On me sut d'autant plus de gre de ma raison et de ma douceur avec
les enfants que je ne supportais ni injures ni menaces de la part des
autres. Quelque amitie que j'eusse pour mon maitre, je lui prouvai une
fois combien j'avais a coeur de conserver ma dignite. J'avais commis
une faute co
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