s parfois rebelles
et dangereux, souvent surmenes et insuffisants. Ils auraient eu
d'admirables amis et ils eussent resolu le probleme de la force
consciente sans avoir recours aux forces aveugles de la machine,
animal plus redoutable et plus feroce que les betes du desert.
"A force de prudence et de perseverance, quelquefois harceles par des
bandits que je sus mettre en fuite et dont je ne craignais ni les
lances ni les fleches, revetu que j'etais d'une legere armure en
ecailles de bois de fer qu'Aor avait su me fabriquer, nous parvinmes
au fleuve Tenasserim. Notre direction n'avait pas ete difficile a
suivre. Outre que nous nous rappelions tres-bien l'un et l'autre
ce voyage que nous avions deja fait, la construction geologique
de l'Indo-Chine est tres-simple. Les longues aretes de montagnes,
separees par des vallees profondes et de larges fleuves, se ramifient
mediocrement et s'inclinent sans point d'arret sensible jusqu'a la
mer. Les monts Karens se relient aux monts Moghs en ligne presque
droite. Nous fimes tres-rarement fausse route, et nos erreurs furent
rapidement rectifiees. Je dois dire que, de nous deux, j'etais
toujours le plus prompt a retrouver la vraie direction.
"Nous n'approchames de nos anciennes demeures qu'avec circonspection.
Il nous fallait vivre seuls et en liberte complete. Nous fumes servis
a souhait. La tribu, enrichie par la vente de ma personne a l'ancien
roi des Birmans, avait quitte ses villages de roseaux, et nos forets,
depeuplees d'animaux a la suite d'une terrible secheresse, avaient ete
abandonnees par les chasseurs. Nous pumes y faire un etablissement
plus libre et plus sur encore que par le passe. Aor ne possedait
absolument rien et ne regrettait rien de notre splendeur evanouie.
Sans amis, sans famille, il ne connaissait et n'aimait plus que moi
sur la terre. Je n'avais jamais aime que ma mere et lui. Une si longue
intimite avait detruit entre nous l'obstacle apporte par la nature a
notre assimilation. Nous conversions ensemble comme deux etres de
meme espece. Ma pantomime etait devenue si reflechie, si sobre, si
expressive, qu'il lisait dans ma pensee comme moi dans la sienne. Il
n'avait meme plus besoin de me parler. Je le sentais triste ou gai
selon le mode et les inflexions de sa flute, et, notre destinee etant
commune, je me reportais avec lui dans les souvenirs du passe, ou je
me plongeais dans la beate extase du present.
"Nous passames de longues annees dans les delices
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