ntre la proprete par paresse de sortir, et il me menaca de
son fouet. Je me revoltai et m'elancai au-devant des coups en montrant
les dents. Il etait philosophe, il n'insista pas pour me punir, et,
comme quelqu'un lui disait qu'il n'eut pas du me pardonner cette
revolte, qu'un chien rebelle doit etre roue de coups, il repondit:
"--Non! Je le connais, il est intrepide et entete au combat, il ne
cederait pas; je serais force de le tuer, et le plus puni serait moi.
"Il me pardonna donc, et je l'en aimai d'autant plus.
"J'ai passe une vie bien douce et bien heureuse dans cette maison
benie. Tous m'aimaient, les serviteurs etaient doux et pleins d'egards
pour moi; les enfants, devenus grands, m'adoraient et me disaient les
choses les plus tendres et les plus flatteuses; mes maitres avaient
reellement de l'estime pour mon caractere et declaraient que mon
affection n'avait jamais eu pour mobile la gourmandise ni aucune
passion basse. J'aimais leur societe, et, devenu vieux, moins
demonstratif par consequent, je leur temoignais mon amitie en dormant
a leurs pieds ou a leur porte quand ils avaient oublie de me l'ouvrir.
J'etais d'une discretion et d'un savoir-vivre irreprochables, bien que
tres-independant et nullement surveille. Jamais je ne grattai a une
porte, jamais je ne fis entendre de gemissements importuns. Quand je
sentis les premiers rhumatismes, on me traita comme une personne.
Chaque soir, mon maitre m'enveloppait dans mon tapis; s'il tardait un
peu a y songer, je me plantais pres de lui en le regardant, mais sans
le tirailler ni l'ennuyer de mes obsessions.
"La seule chose que j'aie a me reprocher dans mon existence canine,
c'est mon peu de bienveillance pour les autres chiens. Etait-ce
pressentiment de ma prochaine separation d'espece, etait-ce crainte de
retarder ma promotion a un grade plus eleve, qui me faisait hair leurs
grossieretes et leurs vices? Redoutais-je de redevenir trop chien
dans leur societe, avais-je l'orgueil du mepris pour leur inferiorite
intellectuelle et morale? Je les ai reellement houspilles toute ma
vie, et on declara souvent que j'etais terriblement mechant avec mes
semblables. Pourtant je dois dire a ma decharge que je ne fis jamais
de mal aux faibles et aux petits. Je m'attaquais aux plus gros et aux
plus forts avec une audace heroique. Je revenais harasse, couvert de
blessures, et, a peine gueri, je recommencais.
"J'etais ainsi avec ceux qui ne m'etaient pas presentes.
"Quan
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