r que j'en eprouvai mainte fois
m'amena a faire une distinction assez juste des couleurs.
"La premiere personne qui s'occupa de mon education morale fut une
vieille dame qui avait ses idees. Elle ne tenait pas a ce que je fusse
ce qu'on appelle dresse. Elle n'exigea pas que j'eusse le talent de
rapporter et de donner la patte. Elle disait qu'un chien n'apprenait
pas ces choses sans etre battu. Je comprenais tres-bien ce mot-la,
car le domestique me battait quelquefois a l'insu de sa maitresse.
J'appris donc de bonne heure que j'etais protege, et qu'en me
refugiant aupres d'elle, je n'aurais jamais que des caresses et des
encouragements. J'etais jeune et j'etais fou. J'aimais a tirer a moi
et a ronger les batons. C'est une rage que j'ai conservee pendant
toute ma vie de chien et qui tenait a ma race, a la force de ma
machoire et a l'ouverture enorme de ma gueule. Evidemment la nature
avait fait de moi un devorant. Instruit a respecter les poules et les
canards, j'avais besoin de me battre avec quelque chose et de depenser
la force de mon organisme. Enfant comme je l'etais, je faisais grand
mal dans le petit jardin de la vieille dame; j'arrachais les tuteurs
des plantes et souvent la plante avec. Le jardinier voulait me
corriger, ma maitresse l'en empechait, et, me prenant a part, elle me
parlait tres-serieusement. Elle me repetait a plusieurs reprises, en
me tenant la tete et en me regardant bien dans les yeux:
"--Ce que vous avez fait est mal, tres-mal, on ne peut plus mal!
"Alors, elle placait un baton devant moi et me defendait d'y toucher.
Quand j'avais obei, elle disait:
"--C'est bien, tres-bien, vous etes un bon chien.
"Il n'en fallut pas davantage pour faire eclore en moi ce tresor
inappreciable de la conscience que l'education communique au chien
quand il est bien doue et qu'on ne l'a pas degrade par les coups et
les injures.
"J'acquis donc ainsi tres-jeune le sentiment de la dignite, sans
lequel la veritable intelligence ne se revele ni a l'animal, ni
a l'homme. Celui qui n'obeit qu'a la crainte ne saura jamais se
commander a lui-meme.
"J'avais dix-huit mois, et j'etais dans toute la fleur de la jeunesse
et de ma beaute, quand ma maitresse changea de residence et m'amena
a la campagne qu'elle devait desormais habiter avec sa famille. Il y
avait un grand parc, et je connus les ivresses de la liberte. Des que
je vis le fils de la vieille dame, je compris, a la maniere dont ils
s'embrasserent et a l
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