ur dire un mot a sa mere.
"Ta nouvelle charrette anglaise?... Voyons!"
Mme Astier s'approcha de la fenetre ouverte, ecarta un peu les
persiennes toutes rayees d'une belle lumiere de mai, juste assez pour
voir le fringant petit attelage etincelant de cuir neuf et de sapin
verni, et le domestique en livree fraiche, debout a la tete du cheval
qu'il maintenait.
"Oh! madame, que c'est beau!... murmura Corentine qui regardait aussi;
comme M. Paul doit etre mignon, la-dedans."
La mere rayonnait. Mais des fenetres s'ouvraient en face, du monde
s'arretait devant l'equipage qui mettait tout ce bout de la rue de
Beaune en rumeur, et, la servante congediee, Mme Astier, assise au bord
d'une chaise longue, acheva de repriser sa jupe elle-meme, attendant de
savoir ce que son fils avait a lui dire, s'en doutant bien un peu,
quoiqu'elle parut tout attentionnee a sa couture. Paul Astier, renverse
dans un fauteuil, ne parlait pas non plus, jouait avec un eventail
d'ivoire, une vieillerie qu'il connaissait a sa mere depuis qu'il etait
ne. A les voir ainsi, leur ressemblance frappait: la meme chair creole
rosee sur un leger bistre, la meme taille souple, l'oeil gris
impenetrable, et dans les deux visages une tare legere, a peine visible,
le nez fin, un peu devie, donnant l'expression narquoise, quelque chose
de pas sur. Silencieux, ils se guettaient, s'attendaient, avec la brosse
de Teyssedre au lointain.
"Gentil, tout ca...", fit Paul.
Sa mere leva la tete:
"Ca, quoi?"
Du bout de l'eventail, d'un geste d'atelier il indiquait les bras nus,
le dessin des epaules tombantes sous un corsage de fine batiste. Elle se
mit a rire:
"Oui, mais il y a ca..." Elle montrait son cou tres long ou des
craquelures marquaient l'age de la femme. "Oh! et puis..." Elle pensa:
"Qu'est-ce que ca fait, puisque tu es beau..." mais ne le dit pas.
Cette parleuse renommee, rompue a tous les papotages, a tous les
mensonges de societe, experte a tout dire ou faire entendre, restait
sans expression pour le seul sentiment veritable qu'elle eut jamais
ressenti.
En realite, Mme Astier n'etait pas de celles qui ne peuvent se decider
a vieillir. Longtemps avant l'heure du couvre-feu, peut-etre aussi n'y
avait-il jamais eu grand feu chez elle, toute sa coquetterie, tout son
desir feminin de conquerir et de seduire, ses ambitions glorieuses,
elegantes ou mondaines, elle les avait mises dans son fils, ce grand
joli garcon de vingt-huit ans, a la tenue cor
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