ent pour savoir:
"Plus tard... je te dirai... c'est en train..."
Et avant de quitter sa mere, dans un baiser leger, il lui murmura pres
de l'oreille: "Tout de meme, pense a mes dix mille..."
Sans ce grand fils qui les divisait sourdement, les Astier-Rehu auraient
fait un excellent menage selon la convention mondaine et surtout
academique. Apres trente ans, leurs sentiments mutuels restaient les
memes, gardes sous la neige a la temperature de "couche froide," comme
disent les jardiniers. Lorsque vers 1850 le professeur Astier, laureat
de l'Institut, demanda la main de Mlle Adelaide Rehu, domiciliee alors
au palais Mazarin, chez son grand-pere, la beaute fine et longue de la
fiancee, son teint d'aurore, n'etaient pas pour lui le veritable
attrait; la fortune non plus, car les parents de Mlle Adelaide, morts
subitement du cholera, n'avaient laisse que peu de chose, et le
grand-pere, creole de la Martinique, un ancien beau du Directoire,
joueur, viveur, mystificateur et duelliste, repetait bien haut qu'il
n'ajouterait pas un sou a la maigre dot. Non, ce qui seduisit l'enfant
de Sauvagnat, bien plus ambitieux que cupide, ce fut l'Academie. Les
deux grandes cours a traverser pour apporter le bouquet journalier, ces
longs corridors solennels, coupes de bouts d'escaliers poussiereux,
c'etait pour lui le chemin de la gloire bien plus que celui de l'amour.
Le Paulin Rehu des Inscriptions et Belles Lettres, le Jean Rehu des
"Lettres a Uranie," l'Institut tout entier, ses lions, sa coupole, ce
dome attirant comme une Mecque, c'est avec tout cela qu'il avait couche,
sa premiere nuit de noces.
Beaute qui ne s'eraille pas, celle-la, passion sur laquelle le temps
n'avait pu mordre et qui le tenait si fort qu'il garda, vis-a-vis de sa
femme, l'attitude d'un de ces mortels des temps mythologiques a qui les
dieux accordaient parfois leurs filles. Devenu dieu lui-meme, a quatre
tours de scrutin, ce respect subsista encore. Quant a Mme Astier qui
n'avait accepte le mariage que comme un moyen de quitter le grand-pere a
anecdotes, egoiste et dur, il lui avait fallu peu de temps pour juger
quel pauvre cerveau de paysan laborieux, quelle etroitesse
d'intelligence cachaient la solennite du laureat academique fabricant
d'in-octavos, sa parole a son d'ophicleide faite pour les hauteurs de la
chaire. Pourtant, apres qu'a force d'intrigues, de demarches, de
quemandes, elle fut parvenue a l'installer academicien, elle se sentit
prise d'une ce
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