depuis leur voyage en
Touraine.
"Ca lui en fait trois, moi compris," m'a dit Vedrine montrant sa femme;
et c'est bien vrai que dans le regard dont elle couve son mari, il y a
la maternite paisible et tendre d'une madone flamande en extase devant
son fils et son Dieu. Cause longtemps debout contre le parapet du quai;
cela me faisait du bien d'etre avec ces braves gens. En voila un,
Vedrine, qui se moque du succes, et du public, et des prix d'Academie.
Apparente comme il est, cousin des Loisillon, du baron Huchenard, il
n'aurait qu'a vouloir, a teinter d'un peu d'eau son vin trop raide; il
obtiendrait des commandes, le prix biennal, serait de l'Institut demain.
Mais rien ne le tente, pas meme la gloire. "La gloire, me disait-il,
j'en ai goute deux ou trois fois, je sais ce que c'est... tiens, il
t'arrive en fumant de prendre ton cigare a rebours, eh bien! c'est ca la
gloire. Un bon cigare dans la bouche par le cote du feu et de la
cendre...
--Mais enfin, Vedrine, si tu ne travailles ni pour la gloire ni pour
l'argent...
--Oh! ca...
--Oui, je sais ton beau mepris... Alors, pourquoi te donner tant de
mal?
--Pour moi, pour ma joie personnelle, le besoin de creer, de
m'exprimer."
Evidemment, celui-la, dans l'ile deserte, eut continue son labeur. C'est
le veritable artiste, inquiet, curieux d'une forme nouvelle, et, dans
ses intervalles de travail, cherchant avec d'autres matieres, d'autres
elements, a contenter son gout d'inedit. Il a fait de la poterie, des
emaux, ces belles mosaiques de la salle des gardes que l'on admire a
Mousseaux. Puis, la chose achevee, la difficulte vaincue, il passe a une
autre; son reve, en ce moment, c'est d'essayer de la peinture, et, sitot
son paladin termine, une grande figure de bronze pour le tombeau de
Rosen, il compte, comme il dit, "se mettre a l'huile!" Et sa femme
approuve toujours, chevauche avec lui toutes ses chimeres; la vraie
femme d'artiste, silencieuse, admirante, ecartant du grand enfant ce qui
blesserait son reve, heurterait son pied dans sa marche d'astrologue.
Une femme, ma chere Germaine, a faire desirer le mariage. Oui, j'en
connaitrais une pareille, je l'amenerais a Clos-Jallanges et je suis sur
que tu l'aimerais; mais ne t'effraie pas, les Mme Vedrine sont rares, et
nous continuerons a vivre tous deux, comme maintenant, jusqu'a la fin.
On s'est quitte en prenant rendez-vous pour jeudi prochain, non pas
chez eux a Neuilly, mais a l'atelier du quai d'Orsay ou
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