la duchesse au jeune garde-noble, cette pensee etait venue a
Paul Astier que, si Mme de Rosen lui manquait, il lui resterait la belle
Antonia. Il y songeait aussi l'avant-veille, aux Francais, en apercevant
le comte Adriani dans la loge de la duchesse, mais vaguement encore,
parce que son effort etait ailleurs et qu'il croyait a la possibilite de
vaincre. La partie definitivement perdue, sa premiere idee en se
reprenant a la vie fut: la duchesse! Ainsi, presque a son insu, cette
resolution improvisee etait la mise au jour d'une lente et sourde
germination: "J'ai voulu vous venger, je n'ai pas pu..." Certainement,
bonne, violente et vindicative comme il la connaissait, celle que ses
Corses appelaient Mari' Anto, serait a son chevet le lendemain matin. A
lui de s'arranger pour qu'elle ne le quittat plus.
* * * * *
En revenant tous deux dans le landau, qui avait pris les devants sur le
coupe de Samy oblige de marcher lentement a cause du blesse, Vedrine et
Freydet philosophaient devant les coussins vides ou reposaient les epees
du duel dans leur fourreau de serge. "Elles font moins de train qu'en
allant, ces fichues betes..." dit Vedrine poussant les colichemardes du
bout du pied. Freydet reflechit tout haut: "C'est vrai qu'on s'est battu
avec les siennes..." et reprenant sa tete importante et tres correcte
de temoin: "Nous avions tout gagne, le terrain, les epees... En plus,
un tireur de premier ordre... Comme il dit, c'est une chose bien
extraordinaire..."
Ils cesserent de causer un moment, distraits par la richesse du fleuve
qu'allumait le couchant, en nappes d'or vert et de pourpre. Le pont
traverse, les chevaux s'engagerent au grand trot dans la rue de
Boulogne. "En somme, oui... reprit Vedrine comme si leur causerie
n'avait pas ete coupee d'un long silence... sous des semblants de
reussite le garcon est un deveinard. Voila plusieurs fois que je le vois
aux prises avec la vie, dans de ces circonstances qui sont des pierres
de touche pour juger la destinee d'un homme, qui lui font suer tout ce
qu'il a de chance sous la peau. Eh bien! il a beau ruser, combiner,
penser a tout, faire sa palette d'une facon merveilleuse, au dernier
moment quelque chose craque, et, sans le demolir tout a fait, l'empeche
d'arriver a ce qu'il veut... Pourquoi?... Simplement, peut-etre, parce
qu'il a le nez de travers... Je t'assure, ces deviations-la sont
presque toujours des symptomes d'un esprit faux, d'
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