tandis que le blesse souriait a ses amis, un peu penaud
tout de meme de se voir etendu sur le flanc, lui, le malin, le fort,
Freydet ne cessait de s'extasier sur la correction des temoins avec qui
l'on venait de s'entendre pour le proces-verbal, la correction du
docteur Aubouis s'offrant a rester pres de son confrere, la correction
du prince parti dans la caleche et laissant a Paul Astier pour le
reconduire chez lui sa voiture, tres douce, a un cheval, qui pourrait
venir jusqu'a la porte du petit logement. Oh! tout a fait correct.
"Est-il embetant avec sa correction!" fit Vedrine surprenant la grimace
que Paul n'avait pu retenir.
"... une chose vraiment bien extraordinaire..." murmura le jeune homme,
d'une voix vague qui songeait. Ainsi, ce serait lui et non pas l'autre,
dont la pale figure sanglante apparaitrait a cote du medecin derriere la
vitre du coupe revenant au pas. Ah! pour un coup rate... Il se dressa
brusquement, malgre l'injonction du docteur, ecrivit tres vite sur une
de ses cartes, d'un crayon mal guide: "Le sort est aussi traitre que les
hommes. J'ai voulu vous venger... Je n'ai pas pu. Pardon..." signa,
relut, reflechit, relut encore, puis, l'enveloppe fermee, une horrible
enveloppe a fleurs d'epicerie de campagne, trouvee dans la poussiere de
la commode, il mit dessus: "Duchesse Padovani," et pria Freydet de la
porter lui-meme le plus tot possible.
"Ce sera fait dans une heure, mon cher Paul."
Il dit "merci... a revoir..." de la main, s'allongea, ferma les yeux,
resta muet et sans bouger jusqu'au depart, ecoutant autour de lui, dans
la prairie ensoleillee, l'immense et grele rumeur d'insectes qui lui
semblait etre le battement de la fievre commencante, pendant que sous
ses cils baisses il suivait l'entortillement de sa nouvelle intrigue, si
differente de la derniere, et miraculeusement improvisee, sur le
terrain, en pleine deroute.
Etait-ce bien une improvisation? L'ambitieux garcon pouvait s'y tromper;
car le mobile de nos actes nous echappe souvent, perdu, cache dans tout
ce qui s'agite en nous aux heures de crise, ainsi que disparait dans la
foule le meneur qui l'a mise en branle. Un etre, c'est une foule.
Multiple, complique comme elle, il en a les elans confus, desordonnes;
mais le meneur est la, derriere; et si emportes, si spontanes qu'ils
paraissent, nos mouvements, comme ceux de la rue, ont toujours ete
prepares. Depuis le soir ou Lavaux, sur la terrasse de l'hotel Padovani,
signalait
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