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regardaient curieusement ce menage d'artistes, leurs beaux enfants
petris d'amour et de lumiere, au repos, a l'abri dans cette anse de
verdure, sur ce flot limpide et calme ou se doublait l'image de leur
bonheur. Vedrine, les saluts faits, sans lacher sa palette, donnait a
Paul des nouvelles de Clos-Jallanges, dont la longue maison basse et
blanche a toiture italienne se voyait a mi-cote dans les brumes du
fleuve. "Mon cher, tout le monde est fou, la-dedans! La succession de
Loisillon les tourne-boule. Ils passent leur vie a faire du pointage;
tous, ta mere, Picheral, et la pauvre infirme dans son fauteuil
roulant... Elle aussi a gagne la fievre academique. Elle parle d'aller
vivre a Paris, de donner des fetes, des receptions pour aider la
candidature fraternelle." Alors, lui, fuyant cette demence, s'escampait
tout le jour, travaillait dehors avec sa smala, et montrant son vieux
bachot, il riait sans l'ombre d'amertume: "Ma dabbieh, tu vois... mon
grand voyage sur le Nil!"
Tout a coup le petit garcon, qui, parmi tant de monde, de jolies femmes,
de toilettes, n'avait d'yeux que pour le pere Laniboire, l'interpella
d'une voix claire: "Dites, c'est-y vous le monsieur de l'Academie qui va
avoir cent ans?" Le vieux rapporteur, en train de faire des effets
nautiques devant la belle Antonia, manqua s'effondrer sur sa banquette;
et, le fou rire un peu calme, Vedrine expliquait le singulier interet
que l'enfant portait a Jean Rehu qu'il ne connaissait pas, qu'il n'avait
jamais vu, seulement a cause de ses cent ans qui approchaient. Le beau
petit s'informait chaque jour du vieil homme, demandait: "Comment
va-t-il?" et c'etait chez ce tout petit etre un respect de la vie
presque egoiste, l'espoir d'y arriver, lui aussi, a ses cent ans,
puisque d'autres les pouvaient vivre.
Mais l'air fraichissait, faisait flotter les voilettes de voyage, tout
le pavoisement des petites flammes. Une masse de nuees s'avancait du
cote de Blois; et vers Mousseaux dont les quatre lanternes au faite des
tourelles etincelaient sous le ciel noir, un reseau de pluie envoilait
l'horizon. Il y eut un moment de hate, de bousculade. Pendant que les
barques s'eloignaient entre les bancs de sable jaune, toutes dans le
meme sillage a cause de l'etroitesse des chenaux, amuse par cet eclat de
couleurs sous le ciel orageux, ces belles silhouettes de mariniers
debout a l'avant, forcant sur leurs longues perches, Vedrine se tournait
vers sa femme a genoux da
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