ns le bachot, occupee a empaqueter les enfants,
a serrer la boite, la palette: "Regarde ca, maman... tu sais, quand je
dis d'un camarade que nous sommes du meme bateau... la voila bien
visible et vivante, mon image... toutes ces barques en file qui se
sauvent dans le vent, la nuit menacante, ce sont nos generations
d'art... On a beau se gener entre gens du meme bateau, on se connait,
on se sent les coudes; on est amis sans le vouloir, sans le savoir,
courant tous la meme bordee... Mais ceux qui sont devant, comme ils
s'attardent, comme ils encombrent! Rien de commun entre leur barque et
la notre. On est trop loin, on ne se comprend plus. Nous ne nous
occupons d'eux que pour leur crier: "Allez donc, avancez, donc!" tandis
qu'au bateau qui nous suit, dont l'elan de jeunesse nous pousse, nous
talonne, voudrait nous passer sur le ventre, on jette avec colere:
"Doucement donc!... Qu'est-ce qui vous presse?..." Eh bien! moi...--il
dressait sa grande taille, dominait la rive et le fleuve...--je suis de
mon bateau, certes, et je l'aime; mais ceux qui s'en vont et ceux qui
viennent m'interessent autant que le mien... Je les hele, je leur fais
signe, j'essaye de me tenir en communication avec tous... Car tous,
suivants et devanciers, les memes dangers nous menacent, et pour chacune
de nos barques les courants sont durs, le ciel traitre, et le soir si
vite venu!... Maintenant, demarrons, mes cheris, voila l'ondee..."
XIII
"Priez pour le repos de l'ame de tres haut et puissant seigneur et duc
Charles-Henri-Francois Padovani, prince d'Olmuetz, ancien senateur,
ambassadeur et ministre, grand'croix de la legion d'honneur, decede le
20 de ce mois de septembre 1880, en sa terre de Barbicaglia, ou ses
restes ont ete deposes. Une messe a son intention sera dite dimanche
prochain dans la chapelle du chateau, vous etes invites a y assister."
Paul Astier qui descendait de sa chambre pour le dejeuner de midi, eut
un mouvement de joie, d'orgueil immense, en entendant cette
proclamation singuliere, promenee de Mousseaux a Onzain sur les deux
rives de la Loire par des employes de la maison Vafflard, porteurs de
lourdes cloches qu'ils agitaient en marchant, et de hauts chapeaux
enguirlandes de crepes noirs jusqu'a terre. La nouvelle de la mort du
duc, deja ancienne de quatre jours, tombee a Mousseaux comme un coup de
fusil dans une compagnie de perdreaux, avait essaime, disperse a des
plages, des villegiatures imprevues, tous les inv
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