rcle, le plus pres possible, eurent ce joli
pelotonnement frileux, ce frisson que leur donne l'attente du plaisir.
Danjou lisait en vrai cabotin de Picheral, prenait des temps pour
s'humecter les levres au bord de son verre d'eau, les essuyait d'un
leger mouchoir de batiste, et, chaque page finie, haute et large,
brouillee de sa toute petite ecriture, il la laissait tomber
negligemment a ses pieds sur le tapis. Chaque fois, Mme de Foder,
l'etrangere pour hommes celebres, se penchait sans bruit, ramassait la
feuille tombee, la posait avec veneration sur un fauteuil a cote d'elle,
bien dans le sens. Discret et delicieux manege qui la rapprochait du
maitre, la melait a son oeuvre, comme si Lizt ou Rubinstein etait au
piano et qu'elle tournat les feuillets de la partition. Tout alla bien
jusqu'a la fin du premier acte, amusante et chatoyante exposition
qu'accueillait un delire de petits cris, de rires extasies, de bravos
enthousiastes; puis, apres un grand silence dans lequel on entendait aux
profondeurs du parc la rumeur bourdonnante et vibrante des moucherons en
haut des arbres, le lecteur reprit en s'essuyant la moustache:
"Acte II... la scene represente..." mais sa voix s'alterait,
s'etranglait de replique en replique. Il venait d'apercevoir un fauteuil
vide, au premier rang, parmi les dames, justement le fauteuil d'Antonia,
et son oeil cherchait par-dessus le lorgnon dans l'immense salon rempli
d'arbustes verts, de paravents ou les auditeurs s'abritaient pour mieux
ecouter ou mieux dormir... Enfin dans un de ces temps frequents et
methodiques que son verre d'eau lui menageait, un chuchotement, la lueur
d'une robe claire, et tout au fond, sur un divan, la duchesse lui
apparut, a cote de Paul Astier, continuant la conversation interrompue
dans la galerie. Pour un enfant gate de tous les succes comme Danjou,
l'outrage etait sensible. Il eut pourtant le courage de continuer son
acte, jetant avec fureur sur le tapis les pages qui volaient, forcaient
la petite de Foder a les rattraper a quatre pattes. A la fin, comme les
chuchotements ne se taisaient pas, il cessa de lire, s'excusant sur un
enrouement subit qui l'obligeait a remettre au lendemain. Et toute a ce
duel dont elle ne se lassait pas, la duchesse, croyant la piece finie,
criait de loin avec un vif mouvement de ses petites mains: "Bravo,
Danjou... tres joli, le denouement!"
Le soir, le grand homme eut ou pretexta une crise de foie, et quitta
Mousseaux a l'aurore,
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