de vue les coteaux de la Loire, une course
furieuse de bete blessee, traquee, qui s'arretait un moment, engourdie
de fatigue, puis repartait sous une poussee de douleur. "Lache!...
Lache!... Canaille!..." Elle invectivait l'absent comme s'il etait a
cote d'elle, comme s'il marchait du meme pas fievreux dans ce
tournoiement d'allees vertes descendant jusqu'au fleuve en longs et
ombreux lacets. Et, plus duchesse ni mondaine, demasquee, humaine enfin,
elle livrait tout son desespoir moins grand peut-etre que sa colere, car
l'orgueil criait en elle plus fort que tout, et les quelques larmes
debordant ses cils ne coulaient pas, jaillissaient, gresillaient en
pointes de feu. Se venger, se venger! Elle cherchait un moyen sanglant,
tantot imaginait un de ses gardes, Bertoli ou Salviato, allant lui
mettre une chevrotine dans le front le jour meme du mariage... Puis,
non! Frapper soi-meme, sentir la joie de la vendetta au bout de son
bras... Elle enviait celles du peuple qui guettent l'homme sous une
porte, lui envoient par la figure une potee de vitriol dans un
vomissement de mots epouvantables... Oh! pourquoi n'en connaissait-elle
pas de ces abominations qui soulagent, une ignoble injure a crier au
traitre et vil compagnon qu'elle voyait toujours avec le regard
hesitant, le sourire faux et penible de leur derniere rencontre. Mais
meme dans son patois corse de l'ile-Rousse, la patricienne ne savait pas
de ces vilenies et quand elle avait bien crie: "Lache!... Lache!...
Canaille!..." sa belle bouche se tordait de rage impuissante.
Le soir, apres son repas solitaire dans l'immense salle tendue de vieux
cuirs que dorait le soleil mourant, la course de fauve recommencait.
C'etait dans la galerie a pic sur le fleuve, si curieusement restauree
par Paul Astier avec la dentelle ajouree de ses arcades et ses deux
jolies tourelles en encorbellement. En bas, la Loire etalee comme un lac
gardait du jour tombe un palissement d'argent fin ou s'espacaient, vers
Chaumont, les saulaies, les ilots de sable du fleuve lent, a la molle
atmosphere; mais elle ne regardait pas le paysage, la pauvre Mari'
Anto, quand fatiguee d'errer sur les pas de son chagrin elle s'appuyait
des deux coudes a la rampe, les yeux perdus. Sa vie lui apparaissait
devastee, en detresse, et a un age ou il est difficile de la
recommencer. Des voix greles montaient de Mousseaux groupant quelques
maisons basses sur la levee; l'amarre d'un bateau grincait dans la nuit
fraichiss
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