n'oublierai jamais ton amitie, ta bonte!... Mais ne
recommence pas, je t'en supplie; crois-tu que ce pain m'eut fait
plaisir, si j'avais su ce qu'il devait te faire souffrir? J'aimerais
cent fois mieux ne vivre que de chardons, et te savoir bien traite et
heureux.
Nous causames longtemps encore, et je fis promettre a Medor de ne plus
se mettre, a cause de moi, dans le cas d'etre battu; je lui promis aussi
de faire toutes sortes de tours a tous les gens de la ferme, et je tins
parole. Un jour, je jetai dans un fosse plein d'eau Jules et sa soeur,
et je me sauvai, les laissant barboter et se debattre. Un autre jour, je
poursuivis le petit de trois ans comme si j'avais voulu le mordre; il
criait et courait avec une terreur qui me rejouissait. Une autre fois,
je fis semblant d'etre pris de coliques, et je me roulai sur la grande
route avec une charge d'oeufs sur le dos; tous les oeufs furent ecrases;
la fermiere, quoique furieuse, n'osait pas me frapper; elle me croyait
reellement malade; elle pensa que j'allais mourir; que l'argent que je
leur avais coute serait perdu, et, au lieu de me battre, elle me ramena
et me donna du foin et du son. Je n'ai jamais fait un meilleur tour de
ma vie, et le soir, en le racontant a Medor, nous nous pamions de rire.
Une autre fois, je vis tout leur linge etale sur la haie pour secher.
Je pris toutes les pieces l'une apres l'autre avec mes dents, et je les
jetai dans le jus du fumier. Personne ne m'avait vu faire; quand la
maitresse ne trouva plus son linge, et qu'apres l'avoir cherche partout,
elle le trouva dans le jus du fumier, elle se mit dans une epouvantable
colere; elle battit la servante, qui battit les enfants, qui battirent
les chats, les chiens, les veaux, les moutons. C'etait un vacarme
charmant pour moi, car tous criaient, tous juraient, tous etaient
furieux. Ce fut encore une soiree bien gaie que nous passames, Medor et
moi.
En reflechissant depuis a toutes ces mechancetes, je me les suis
sincerement reprochees, car je me vengeais sur des innocents des fautes
des coupables. Medor me blamait quelquefois, et me conseillait d'etre
meilleur et plus indulgent; mais je ne l'ecoutais pas, je devenais de
plus en plus mechant; j'en ai ete bien puni, comme on le verra plus
tard.
Un jour, jour de tristesse et de deuil, un monsieur qui passait vit
Medor, l'appela, le caressa; puis il alla parler au fermier, et le lui
acheta pour cent francs. Le fermier, qui croyait avoir un chien
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