garcon_:--Et puis cinquante, papa?
_L'homme_, le contrefaisant:--Et puis cinquante, papa? Tu ne vois pas,
grand nigaud, que c'est cinquante centimes que je dis, et les centimes
ne sont pas des francs.
_Le garcon_:--Non, papa, mais ca fait toujours cinquante.
_L'homme_:--Cinquante quoi? Est-il bete! est-il bete! Si je te donnais
cinquante taloches, ca te ferait-y cinquante francs?
_Le garcon_:--Non, papa, mais ca ferait toujours cinquante.
_L'homme_:--En voila une a compte, grand animal!
Et il lui donna un soufflet qui retendit dans toute la maison. Le garcon
se mit a pleurer; j'etais en colere. Si ce pauvre garcon etait bete, ce
n'etait pas sa faute.
"Cet homme ne merite pas ma pitie, me dis-je; il a, grace a moi, de
quoi vivre pendant huit jours; je veux bien encore lui faire gagner sa
representation de demain, apres quoi je retournerai chez mes maitres;
peut-etre m'y recevra-t-on avec amitie."
Je me retirai de la fenetre, et j'allai manger des chardons qui
poussaient au bord d'un fosse; j'entrai ensuite dans l'ecurie de
l'auberge, ou je trouvai deja plusieurs chevaux occupant les meilleures
places; je me rangeai dans un coin dont personne n'avait voulu: j'y pus
reflechir a mon aise, car personne ne me connaissait, et personne ne
s'occupait de moi. A la fin de la journee, Henriette Hutfer entra a
l'ecurie, regarda si chacun avait ce qu'il fallait, et, m'apercevant
dans mon coin humide et obscur, sans litiere, sans foin, ni avoine, elle
appela un des garcons d'ecurie.
--Ferdinand, dit-elle, donnez de la paille a ce pauvre ane pour qu'il ne
couche pas sur la terre humide, mettez devant lui un picotin d'avoine et
une botte de foin, et voyez s'il ne veut pas boire.
_Ferdinand_:--Mam'zelle Henriette, vous ruinerez votre papa, vous etes
trop soigneuse pour le monde. Que vous importe que cette bete couche sur
la dure ou sur une bonne litiere? c'est de la paille gachee, ca!
_Henriette_:--Vous ne trouvez pas que je suis trop bonne quand c'est
vous que je soigne, Ferdinand; je veux que tout le monde soit bien
traite ici, les betes comme les hommes.
_Ferdinand_, d'un air malin:--Sans compter qu'il y a pas mal d'hommes
qu'on prendrait volontiers pour des betes, quoiqu'ils marchent sur deux
pieds.
_Henriette_, souriant:--Voila pourquoi on dit: Bete a manger du foin.
_Ferdinand_:--Ce ne sera toujours pas a vous, mam'zelle, que je servirai
une botte de foin. Vous avez de l'esprit,... de l'esprit ... et
|