lui, le pauvre homme aurait gagne de quoi
vivre pendant quelques semaines.
_Elisabeth_:--Et puis te rappelles-tu ce qu'on nous a raconte des
mechancetes qu'il a faites chez son ancien maitre? Il mangeait les
legumes, il cassait les oeufs, il salissait le linge.... Decidement, je
fais comme toi, je ne l'aime plus.
Elisabeth et Henri se leverent et continuerent leur promenade. Je restai
triste et humilie. D'abord je voulus me facher et chercher une petite
vengeance a exercer; mais je pensai qu'ils avaient raison. Je m'etais
toujours venge; a quoi m'avaient servi mes vengeances? a me rendre
malheureux.
D'abord j'avais casse les dents, les bras et l'estomac a une de mes
maitresses. Si je n'avais pas eu le bonheur de m'echapper, j'aurais ete
battu a me faire presque mourir.
J'avais fait mille mechancetes a mon autre maitre, qui avait ete bon
pour moi tant que je n'avais pas ete paresseux et mechant, depuis il
m'avait tres maltraite, et j'avais ete tres malheureux.
Quand Auguste avait tue mon ami Medor, je n'avais pas reflechi qu'il
l'avait fait par maladresse et non par mechancete. S'il etait bete, ce
n'etait pas de sa faute; j'avais persecute ce malheureux Auguste, et
j'avais fini par le rendre tres malade en le jetant dans la mare de
boue.
Et puis, que de petites mechancetes j'avais faites que je n'ai pas
racontees!
J'avais donc fini par ne plus etre aime de personne. J'etais seul;
personne ne venait pres de moi me consoler, me caresser; les animaux
meme me fuyaient.
"Que faire? me demandai-je tristement. Si je pouvais parler, j'irais
leur dire a tous que je me repens, que je demande pardon a tous ceux
auxquels j'ai fait du mal, que je serai bon et doux a l'avenir; mais ...
je ne peux pas me faire comprendre ... je ne parle pas."
Je me jetai sur l'herbe et je pleurai, non pas comme les hommes qui
versent des larmes, mais dans le fond de mon coeur; je pleurai, je gemis
sur mon malheur, et, pour la premiere fois, je me repentis sincerement.
"Ah! si j'avais ete bon! si, au lieu de vouloir montrer mon esprit,
j'avais montre de la bonte, de la douceur, de la patience! si j'avais
ete pour tous ce que j'avais ete pour Pauline! comme on m'aimerait!
comme je serais heureux!"
Je reflechis longtemps, bien longtemps; je formai tantot de bons
projets, tantot de mechants.
Enfin, je me decidai a devenir bon, de maniere a regagner l'amitie de
tous mes maitres et de mes camarades. Je fis immediatement l'essai d
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