a porter ses sacs de farine; mais je veux encore
l'essayer avant de le reduire a cet etat d'humiliation; peut-etre se
corrigera-t-il. Nous verrons bien d'ici a quelques mois.
J'etais de plus en plus triste, humilie et repentant; mais je ne pouvais
reparer le mal que je m'etais fait qu'a force de patience, de douceur
et de temps. Je commencais a souffrir dans mon orgueil et dans mes
affections.
Les nouvelles d'Auguste furent meilleures le lendemain; peu de jours
apres il entrait en convalescence, et l'on ne s'en occupa plus au
chateau. Mais je ne pus en perdre le souvenir, car j'entendais sans
cesse dire autour de moi:
"Prends garde a Cadichon! Souviens-toi d'Auguste!"
XXIII
LA CONVERSION
Depuis le jour ou j'avais dechire le visage d'Auguste en galopant dans
les epines, et ou je l'avais jete dans la boue, le changement dans les
manieres de mes petits maitres, de leurs parents, des gens de la maison
etait visible. Les animaux meme ne me traitaient pas comme auparavant.
Ils semblaient m'eviter; quand j'arrivais, ils s'eloignaient; ils se
taisaient en ma presence; car j'ai deja dit, a propos de mon ami Medor,
que nous autres animaux nous nous comprenons sans parler comme les
hommes; que les mouvements des yeux, des oreilles, de la queue
remplacent chez nous les paroles. Je ne savais que trop ce qui avait
cause ce changement, et je m'en irritais plus encore que je ne m'en
affligeais, lorsqu'un jour, etant seul comme d'habitude, et couche au
pied d'un sapin, je vis approcher Henri et Elisabeth; ils s'assirent et
ils continuerent a causer.
--Je crois, Henri, que tu as raison, dit Elisabeth, et je partage tes
sentiments; moi aussi, je n'aime presque plus Cadichon depuis qu'il a
ete si mechant pour Auguste.
_Henri_:--Et ce n'est pas seulement Auguste; te souviens-tu de la foire
de Laigle, quand il a ete si mauvais pour le maitre de l'ane savant?
_Elisabeth_:--Ah! ah! ah! Oui, je me le rappelle tres bien. Il etait
drole! Tout le monde riait, mais tout de meme nous avons tous trouve
qu'il avait montre beaucoup d'esprit, mais pas de coeur.
_Henri_:--C'est vrai! il a humilie ce pauvre ane et son maitre le
faiseur de tours; on m'a dit que le malheureux avait ete oblige de
partir sans avoir rien gagne, parce que tout le monde se moquait de lui.
En s'en allant, sa femme et ses enfants pleuraient: ils n'avaient pas de
quoi manger.
_Elisabeth_:--Et c'etait la faute de Cadichon.
_Henri_:--Certainement! Sans
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