flore, sa femme
et son fils. Tous etaient maigres et semblaient extenues. Le pere me
regarda; il parut surpris et dit, apres quelque hesitation:
--Si je vois clair, c'est bien l'ane, le gredin d'ane qui m'a fait
perdre a la foire de Laigle plus de cinquante francs.... Coquin!
continua-t-il en s'adressant a moi, tu as ete cause que mon Mirliflore
a ete mis en pieces par la foule, tu m'as empeche de gagner une somme
d'argent qui m'aurait fait vivre pendant plus d'un mois; tu me le
payeras, va!
Il se leva, s'approcha de moi; je ne cherchai pas a m'eloigner, sentant
bien que j'avais merite la colere de cet homme. Il parut etonne.
--Ce n'est donc pas lui, dit-il, car il ne bouge pas plus qu'une
buche.... Le bel ane, ajouta-t-il en me tatant les membres. Si je
pouvais l'avoir seulement un mois, tu ne manquerais pas de pain, mon
garcon, ni ta mere non plus, et j'aurais l'estomac moins creux.
Mon parti fut pris a l'instant; je resolus de suivre cet homme pendant
quelques jours, de tout souffrir pour reparer le mal que je lui avais
fait, et de l'aider a gagner quelque argent pour lui et sa famille.
Quand ils se remirent en marche, je les suivis; ils ne s'en apercurent
pas d'abord; mais le pere, s'etant retourne plusieurs fois, et me voyant
toujours sur leurs talons, voulut me faire partir. Je refusai et je
revins constamment reprendre ma place pres ou derriere eux.
--Est-ce drole, dit l'homme, cet ane qui s'obstine a nous suivre! Ma
foi, puisque cela lui plait, il faut le laisser faire.
En arrivant au village, il se presenta a un aubergiste, et lui demanda a
diner et a coucher, tout en disant fort honnetement qu'il n'avait pas un
sou dans la poche.
--J'ai assez des mendiants du pays, sans y ajouter ceux qui n'en sont
pas, mon bonhomme, repondit l'aubergiste; allez chercher un gite
ailleurs.
Je m'elancai de suite pres de l'aubergiste, que je saluai a plusieurs
reprises de facon a le faire rire.
--Vous avez la un animal qui ne parait pas bete, dit l'aubergiste en
riant. Si vous voulez nous regaler de ses tours, je veux bien vous
donner a manger et a coucher.
--Ce n'est pas de refus, repondit l'homme; nous vous donnerons une
representation, mais quand nous aurons quelque chose dans l'estomac; a
jeun, on n'a pas la voix propre au commandement.
--Entrez, entrez, on va vous servir de suite, reprit l'aubergiste;
Madelon, ma vieille, donne a diner a trois, sans compter le bourri.
Madelon leur servit une bonn
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