on a la fievre si fort qu'on ne sait
plus ce qu'on dit; on ne reconnait personne, on croit voir un tas de
choses qui ne sont pas.
_Louis_:--Qu'est-ce que voit donc Auguste?
_Pierre_:--Il croit toujours voir Cadichon qui veut se jeter sur lui,
qui le mord, le pietine; le medecin est tres inquiet. Papa et mes oncles
y sont alles.
_Madeleine_:--Comme c'est vilain a Cadichon d'avoir jete le pauvre
Auguste dans ce trou degoutant!
--Oui, c'est tres vilain, monsieur, s'ecria Jacques en se retournant
vers moi. Allez, vous etes un mechant! Je ne vous aime plus.
--Ni moi, ni moi, ni moi, repeterent tous les enfants a l'unisson. Va
t'en; nous ne voulons pas de toi.
J'etais consterne. Tous, jusqu'a mon petit Jacques que j'aimais toujours
tendrement, tous me chassaient, me repoussaient.
Je m'eloignai lentement de quelques pas; je me retournai et les regardai
d'un air si triste, que Jacques en fut touche; il courut a moi, me prit
la tete, et me dit d'une voix caressante:
--Ecoute, Cadichon, nous ne t'aimons pas a present; mais, si tu es bon,
je t'assure que nous t'aimerons comme auparavant.
--Non, non, jamais comme avant! s'ecrierent tous les enfants. Il est
trop mauvais.
--Vois-tu, Cadichon, voila ce que c'est que d'etre mechant, reprit le
petit Jacques en me passant la main sur le cou. Tu vois que personne
ne veut t'aimer.... Mais.... ajouta-t-il en me parlant a l'oreille, je
t'aime encore un peu, et si tu n'es plus mechant, je t'aimerai beaucoup,
tout comme avant.
_Henri_:--Prends garde, Jacques, ne l'approche pas de trop pres; s'il te
donne un coup de dent ou un coup de pied, il te fera bien mal.
_Jacques_:--Il n'y a pas de danger; je suis bien sur qu'il ne nous
mordra pas, nous autres.
_Henri_:--Tiens, pourquoi pas? Il a bien jete Auguste deux fois par
terre.
_Jacques_:--Oh! mais Auguste, c'est autre chose; il ne l'aime pas.
_Henri_:--Et pourquoi ne l'aime-t-il pas? Qu'est-ce qu'Auguste lui a
fait? Il pourrait bien, un beau jour, nous detester aussi.
Jacques ne repondit pas, car il n'y avait effectivement rien a repondre;
mais il secoua la tete, et, se retournant vers moi, il me fit une petite
caresse amicale, dont je fus touche jusqu'aux larmes. L'abandon de tous
les autres me rendit plus precieux encore ces temoignages d'affection de
mon cher petit Jacques, et, pour la premiere fois, une pensee sincere
de repentir se glissa dans mon coeur. Je songeai avec inquietude a la
maladie du malheure
|