beaucoup Cadichon, je t'assure; seulement, je le
prends pour ce qu'il est, un ane, et toi, tu en fais un genie. Remarque
bien que, s'il a l'esprit et la volonte que tu lui supposes, il est
mechant et detestable.
_Camille_:--Comment cela?
_Henri_:--En tournant en ridicule le pauvre ane savant et son maitre, et
en les empechant de gagner l'argent qui leur etait necessaire pour se
nourrir. Ensuite, en faisant mille mechancetes a Auguste, qui ne lui a
jamais rien fait, et enfin en se faisant craindre et detester de tous
les animaux, qu'il mord et qu'il chasse a coups de pied.
_Camille_:--C'est vrai, cela; tu as raison, Henri. J'aime mieux croire,
pour l'honneur de Cadichon, qu'il ne sait pas ce qu'il fait, ni le mal
qu'il fait.
Et Camille s'eloigna en courant avec Henri, me laissant seul et
mecontent de ce que je venais d'entendre. Je sentais tres bien que Henri
avait raison, mais je ne voulais pas me l'avouer, et surtout je ne
voulais pas changer et reprimer les sentiments d'orgueil, de colere et
de vengeance auxquels je m'etais toujours laisse aller.
XXII
LA PUNITION
Je restai seul jusqu'au soir; personne ne vint me voir. Je m'ennuyais,
et je vins dans la soiree me mettre pres des domestiques qui prenaient
l'air a la porte de l'office et qui causaient.
--Si j'etais a la place de madame, dit le cuisinier, je me deferais de
cet ane.
_La femme de chambre_:--Il devient par trop mechant en verite. Voyez
donc le tour qu'il a joue a ce pauvre Auguste; il aurait pu le tuer ou
le noyer tout de meme.
_Le valet de chambre_:--Et c'est qu'apres il avait l'air tout joyeux
encore! il courait, il sautait, il brayait comme s'il avait fait un beau
coup.
_Le cocher_:--Il le payera, allez; je lui donnerai une raclee pour son
souper....
_Le valet de chambre_:--Prends garde; si madame s'en apercoit....
_Le cocher_:--Et comment madame le saurait-elle? Crois-tu que je vais
lui donner des coups de fouet sous les yeux de madame? J'attendrai qu'il
soit a l'ecurie.
_Le valet de chambre_:--Tu pourrais bien attendre longtemps; cet animal
qui fait toutes ses volontes, rentre quelquefois si tard.
_Le cocher_:--Ah! mais, s'il m'ennuie trop, je saurai bien le faire
rentrer malgre lui, et sans que personne s'en doute.
_La femme de chambre_:--Comment vous y prendrez-vous? Ce maudit ane va
braire a sa facon et ameuter toute la maison.
_Le cocher_:--Laissez donc! je lui couperai le sifflet; on ne l'entendra
seuleme
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