se. Quoiqu'ils
parlassent bas, je les entendais dire:
--C'est une farce de Cadichon, dit le premier cheval; il veut jouer
quelque tour a son camarade.
--Pauvre ane, j'ai pitie de lui, dit le second cheval. Si nous lui
disions de se mefier de son ennemi?
--Pas tout de suite, repondit le premier cheval. Silence! Cadichon est
mechant. S'il nous entend, il se vengera.
Je fus blesse de la mauvaise opinion qu'avaient de moi ces deux chevaux,
le troisieme n'avait pas parle; il avait passe sa tete sur la stalle, et
il m'observait attentivement. Je le regardai tristement et humblement.
Il parut surpris, mais il ne bougea pas, et resta silencieux,
m'observant toujours.
Fatigue de ma journee, abattu par la tristesse et le regret de ma vie
passee, je me couchai sur la paille, et je remarquai que mon lit etait
moins bon, moins epais que celui de mon camarade. Au lieu de m'en
facher, comme j'aurais fait jadis, je me dis que c'etait juste et bien.
"J'ai ete mechant, me dis-je, on m'en punit; je me suis fait detester,
on me le fait sentir. Je dois encore me trouver heureux de n'avoir pas
ete envoye au moulin, ou j'aurais ete battu, ereinte, mal couche."
Je gemis pendant quelque temps et je m'endormis. A mon reveil, je vis
entrer le cocher, qui me fit lever d'un coup de pied, detacha mon licou
et me laissa en liberte; je restai a la porte, et je vis avec surprise
etriller, brosser soigneusement mon camarade, lui passer ma belle bride
pomponnee, attacher sur son dos ma selle anglaise, et le diriger devant
le perron. Inquiet, tremblant d'emotion, je le suivis; quels ne furent
pas mon chagrin, ma desolation quand je vis Jacques, mon petit maitre
bien-aime, approcher de mon camarade, et le monter apres quelque
hesitation! Je restai immobile, aneanti. Le bon petit Jacques s'apercut
de ma peine, car il s'approcha de moi, me caressa la tete, et me dit
tristement:
--Pauvre Cadichon! tu vois ce que tu as fait! Je ne peux plus te monter;
papa et maman ont peur que tu ne me jettes par terre. Adieu, pauvre
Cadichon; sois tranquille, je t'aime toujours.
Et il partit lentement, suivi du cocher, qui lui criait:
--Prenez donc garde, monsieur Jacques, ne restez pas aupres de Cadichon:
il vous mordra, il mordra le bourri; il est mechant, vous savez bien.
--Il n'a jamais ete mechant avec moi, et il ne le sera jamais, repondit
Jacques.
Le cocher frappa l'ane, qui prit le trot, et je les perdis bientot
de vue. Je restai a la meme
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