es d'immondices, qui, pourrissant
dans l'eau de vaisselle, formaient une boue noire et puante. J'avais
laisse passer Pierre et Henri devant; arrive pres de ce fosse, je fis un
bond vers le bord et une ruade qui lanca Auguste au beau milieu de la
bourbe. Je restai tranquillement a le voir patauger dans cette boue
noire et infecte qui l'aveuglait.
Il voulut crier, mais l'eau sale lui entrait dans la bouche; il en avait
jusqu'aux oreilles, et il ne pouvait parvenir a retrouver le bord. Je
riais interieurement. "Medor, me dis-je, Medor, tu es venge!" Je ne
reflechissais pas au mal que je pouvais faire a ce pauvre garcon, qui,
en tuant Medor, avait fait une maladresse et non une mechancete; je ne
songeais pas que c'etait moi qui etais le plus mauvais des deux. Enfin,
Pierre et Henri, qui etaient descendus de cheval et d'ane, ne voyant ni
moi ni Auguste, s'etonnerent de ce retard; ils revinrent sur leurs pas
et m'apercurent au bord du fosse, contemplant d'un air satisfait mon
ennemi qui barbotait. Ils approcherent, et, voyant qu'Auguste courait un
danger serieux d'etre suffoque par la boue, ils ne purent s'empecher de
pousser un cri en le voyant dans cette cruelle position. Ils appelerent
les garcons de ferme, qui lui tendirent une perche, a laquelle il
s'accrocha et qu'on retira avec Auguste au bout. Quand il fut sur la
terre ferme, personne ne voulait l'approcher; il etait couvert de boue,
et sentait trop mauvais.
--Il faut aller prevenir son pere, dit Pierre.
--Et puis papa et mes oncles, dit Henri, qu'ils nous disent ce qu'il
faut faire pour le nettoyer.
--Allons, viens, Auguste; suis-nous, mais de loin, dit Pierre; cette
boue exhale une odeur insupportable.
Auguste, tout penaud, noir de boue, y voyant a peine pour se conduire,
les suivit de loin; on entendait les exclamations des gens de la ferme.
Je formais l'avant-garde, caracolant, courant et brayant de toutes mes
forces. Pierre et Henri parurent mecontents de ma gaiete; ils criaient
apres moi pour me faire taire. Ce bruit inaccoutume attira l'attention
de toute la maison; chacun reconnaissant ma voix, et sachant que je ne
brayais ainsi que dans les grandes occasions, se mit a la fenetre, de
sorte que, lorsque nous arrivames en vue du chateau, nous vimes les
croisees garnies de visages curieux, nous entendimes des cris et un
mouvement extraordinaire. Peu d'instants apres, tout le monde, grands
et petits, vieux et jeunes, etait descendu et faisait cercle auto
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