place, abime dans mon chagrin. Ce qui en
redoublait la violence, c'etait l'impossibilite de faire connaitre mon
repentir et mes bonnes resolutions. Ne pouvant plus supporter le poids
affreux qui oppressait mon coeur, je partis en courant sans savoir ou
j'allais. Je courus longtemps, brisant des haies, sautant des fosses,
franchissant des barrieres, traversant des rivieres; je ne m'arretai
qu'en face d'un mur que je ne pus ni briser ni franchir.
Je regardai autour de moi. Ou etais-je? Je croyais reconnaitre le pays,
mais sans toutefois pouvoir me dire ou je me trouvais. Je longeai le mur
au pas, car j'etais en nage; j'avais couru pendant plusieurs heures, a
en juger par la marche du soleil. Le mur finissait a quelques pas; je le
tournai, et je reculai avec surprise et terreur. Je me trouvais a deux
pas de la tombe de Pauline.
Ma douleur n'en devint que plus amere.
"Pauline! ma chere petite maitresse! m'ecriai-je, vous m'aimiez
parce que j'etais bon; je vous aimais parce que vous etiez bonne et
malheureuse. Apres vous avoir perdue, j'avais trouve d'autres maitres
qui etaient bons comme vous, qui m'ont traite avec amitie. J'etais
heureux. Mais tout est change: mon mauvais caractere, le desir de faire
briller mon esprit, de satisfaire mes vengeances, ont detruit tout mon
bonheur: personne ne m'aime a present; si je meurs, personne ne me
regrettera."
Je pleurai amerement au dedans de moi-meme et je me reprochai pour la
centieme fois mes defauts. Une pensee consolante vint tout a coup me
rendre du courage. "Si je deviens bon, me dis-je, si je fais autant de
bien que j'ai fait de mal, mes jeunes maitres m'aimeront peut-etre de
nouveau; mon cher petit Jacques surtout, qui m'aime encore un peu, me
rendra toute son amitie.... Mais comment faire pour leur montrer que je
suis change et repentant?"
Pendant que je reflechissais a mon avenir, j'entendis des pas lourds
approcher du mur, et une voix d'homme parler avec humeur.
--A quoi bon pleurer, nigaud? Les larmes ne te donneront pas du pain,
n'est-il pas vrai? Puisque je n'ai rien a vous donner, que voulez-vous
que j'y' fasse? Crois-tu que j'aie l'estomac bien rempli, moi qui n'ai
avale depuis hier matin que de l'air et de la poussiere?
--Je suis bien fatigue, pere.
--Eh bien! reposons-nous un quart d'heure a l'ombre de ce mur, je veux
bien.
Ils tournerent le mur et vinrent s'asseoir pres de la tombe ou j'etais.
Je reconnus avec surprise le pauvre maitre de Mirli
|