i faim.
Et je mangeai le pain du bon Medor, qui regardait avec joie
l'empressement avec lequel je broyais et j'avalais. Je me sentis tout
remonte par ce repas inaccoutume; je le dis a Medor, croyant par la lui
mieux temoigner ma reconnaissance; il en resulta que tous les jours il
m'apportait le plus gros morceau de ceux qu'on lui donnait. Le soir,
il venait se coucher pres de moi sous l'arbre ou le buisson que je
choisissais pour passer ma nuit; nous causions alors sans parler. Nous
autres animaux, nous ne prononcons pas des paroles comme les hommes,
mais nous nous comprenons par des clignements d'yeux, des mouvements de
tete, d'oreilles, de la queue, et nous causons entre nous tout comme les
hommes.
Un soir, je le vis arriver triste et abattu.
--Mon ami, me dit-il, je crains de ne plus pouvoir a l'avenir t'apporter
une partie de mon pain; les maitres ont decide que j'etais assez grand
pour etre attache toute la journee, qu'on ne me lacherait qu'a la nuit.
De plus, la maitresse a gronde les enfants de ce qu'ils me donnaient
trop de pain; elle leur a defendu de me rien donner a l'avenir, parce
qu'elle voulait me nourrir elle-meme, et peu, pour me rendre bon chien
de garde.
--Mon bon Medor, lui dis-je, si c'est le pain que tu m'apportes qui te
tourmente, rassure-toi, je n'en ai plus besoin; j'ai decouvert ce matin
un trou dans le mur du hangar a foin; j'en ai deja tire un peu, et je
pourrai facilement en manger tous les jours.
--En verite! s'ecria Medor, je suis heureux de ce que tu me dis; mais
j'avais pourtant un grand plaisir a partager mon pain avec toi. Et puis,
etre attache tout le jour, ne plus venir te voir, c'est triste.
Nous causames encore quelque temps, il me quitta fort tard.
--J'aurai le temps de dormir le jour, disait-il; et toi tu n'as pas
grand'chose a faire dans cette saison-ci.
Toute la journee du lendemain se passa en effet sans que je visse mon
pauvre ami. Vers le soir, je l'attendais avec impatience, lorsque
j'entendis ses cris. Je courus pres de la haie; je vis la mechante
fermiere qui le tenait par la peau du cou, pendant que Jules le frappait
avec le fouet du charretier. Je m'elancai au travers de la haie par une
breche mal fermee; je me jetai sur Jules, et je le mordis au bras de
facon a lui faire tomber le fouet des mains. La fermiere lacha Medor,
qui se sauva, c'est ce que je voulais; je lachai aussi le bras de Jules,
et j'allais retourner dans mon enclos, lorsque je me sentis
|