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sans limites. Il n'est pas indispensable que des voiles blanches passent
sans cesse sur la mer, pour que la mer nous semble mysterieuse et
admirable; et une tempete, pas plus qu'une belle journee calme, n'affaiblit
la vie de notre ame. Ce qui l'affaiblit, c'est de rester jour et nuit dans
la chambre de nos petites pensees sans generosite, sans ardeur, sans
gravite, alors que l'ocean illumine le ciel tout autour de notre demeure.
Mais il y a peut-etre une difference entre le penseur et le sage. Il arrive
que le penseur s'attriste simplement sur les sommets qu'il a gravis, mais
le sage tache d'y sourire de bonne foi et d'une facon si naturelle et si
humaine, que le plus humble de ses freres peut recueillir et comprendre ce
sourire qui tombe comme une fleur au pied de la montagne. Le penseur ouvre
la route "qui va de ce qu'on voit a ce qu'on ne voit pas", mais le sage
ouvre la voie qui mene de ce qu'on aime a ce qu'on aimera, et les sentiers
qui montent de ce qui ne nous console plus a ce qui peut nous consoler
longtemps encore. Il est necessaire, mais il ne suffit pas, d'avoir sur
l'homme, sur Dieu, sur la nature, des pensees vivantes et audacieuses.
Qu'est-ce qu'une pensee profonde qui n'apporte aucun reconfort? N'est-ce
pas, comme celle qui ne parvient pas a impregner notre vie de tous les
jours, une pensee que le penseur ne possede pas encore tout entiere? Il est
plus facile de s'affliger et de demeurer dans son affliction, que de faire
sur-le-champ, le pas que le temps finit toujours par nous faire faire au
dela de cette affliction. Il est plus facile de paraitre profond dans la
mefiance et les tenebres, que dans la confiance et l'honnete clarte ou les
hommes doivent vivre. Est-on sur d'avoir fait tout l'effort qu'on peut
faire, en meditant ainsi, au nom de tous ses freres, sur la detresse de la
vie, si, pour ne pas amoindrir le grand tableau de cette detresse, on leur
cache les raisons, decisives apres tout, pour lesquelles on l'accepte,
puisque l'on continue de vivre? Est-ce aller jusqu'au bout de sa pensee que
de penser pour ne pas consoler? Il est plus facile de me dire pourquoi vous
vous plaignez, que de m'apprendre avec simplicite les motifs plus puissants
et plus profonds pour lesquels votre instinct ne rejette pas cette vie dont
vous vous plaignez de la sorte.
Qui de nous ne trouve, sans les chercher, mille et mille raisons de n'etre
pas heureux? Sans doute, il est utile que le sage nous indique les plus
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