de mauvaises poesies que je trouvais si
belles, et mon coeur palpita encore de plaisir et d'emotion. Certes, ce
n'etait pas de regret pour cet amour qui n'a jamais existe que dans les
reves d'une imagination de seize ans, mais il y a dans les lointains
souvenirs une inexplicable magie. On aime ses premieres impressions
d'un amour paternel, on se cherit dans le passe, peut-etre parce qu'on
s'ennuie de soi-meme dans le present. Quoi qu'il en soit, je me sentis
un instant transporte dans un autre monde, pour lequel je ne changerais
pas celui ou je suis maintenant, mais ou j'avais cru ne retourner
jamais, et ou je fis avec joie quelques pas. Il me sembla que Fernande
devinait le plaisir qu'elle me causait, car elle chanta comme un ange,
et je restai enivre et muet de beatitude apres qu'elle eut cesse. Tout a
coup je m'apercus qu'elle pleurait, et, comme nous avons eu deja quelque
chose de pareil, je devinai ce qui se passait en elle, et j'en concus un
peu d'humeur. La premiere impression est au-dessus des forces de l'homme
le plus ferme. Dans ces moments-la, il n'est donne qu'aux scelerats de
savoir feindre. Tout ce qu'un homme sincere peut faire, c'est de se
taire ou de se cacher. Je sortis donc, et quelques tours de promenade
dissiperent cette legere irritation. Mais je compris qu'il m'etait
impossible de consoler Fernande par une explication. Il eut fallu ou lui
faire accroire quelle se trompait dans ses soupcons, en lui faisant un
mensonge, ou tenter de lui expliquer la difference qu'il y a entre aimer
un souvenir romanesque et regretter un amour oublie. Voila ce qu'elle
n'eut jamais voulu comprendre et ce qui est reellement au-dessus de
son age, et peut-etre de son caractere. Cet aveu d'un sentiment bien
innocent lui eut fait plus de mal que mon silence. J'ai tout repare en
lui prouvant que j'etais pret a faire a sa susceptibilite le sacrifice
de mon petit plaisir; j'ai refuse d'entendre de nouveau la romance que,
par une petite malice boudeuse de femme, elle m'offrait de me chanter
une seconde fois, et je l'ai brulee sans ostentation.
Il faudra qu'en toute occasion, quand je ne pourrai pas mieux faire,
j'aie le courage de ne pas montrer d'humeur. Il est vrai que cela me
fait souffrir un peu. J'ai ete victime pendant si longtemps de la
jalousie atroce de certaines femmes, que tout ce qui me la rappelle,
meme de tres-loin, me fait frissonner d'aversion. Je m'y habituerai.
Fernande a les defauts ou plutot les inconvenie
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