contrer. Ce n'est pas que je rejette sur lui la
faute de tout ce qui s'est passe entre vous; il me semble que c'est lui
qui a constamment raison, et voila pourquoi je te plains: ce qu'il y a
de plus triste au monde, c'est d'etre condamne, par sa position et par
la force des choses, a avoir constamment tort. Cet amour enthousiaste
que tu t'es evertuee a ressentir pour lui est un sentiment hors nature,
et destine a s'eteindre tout a coup comme un feu de paille; mais avant
d'en venir la il te fera cruellement souffrir, et, quelque patient que
soit ton mari, il te rendra insupportable a ses yeux. Il me semble, a
moi, que la passion, est tout a fait contraire a la dignite et a la
saintete du mariage. Tu t'es imagine que tu inspirais cette passion
a ton mari; j'en doute fort: je crois que tu auras pris pour
l'enthousiasme les caresses vehementes qu'un mari prodigue des les
premiers jours a sa femme, quand elle est, comme toi, toute jeune et
remarquablement jolie. Mais sois sure que toutes les extases de ton
cerveau, toutes les illusions de ton ame, ne sont plus du gout d'un
homme de trente-cinq ans, et que, du jour ou, au lieu de contribuer
a ses plaisirs, elles lui causeront du trouble et de l'ennui, il te
dessillera les yeux, peut-etre un peu brusquement. Tu seras au desespoir
alors, pauvre Fernande, et il n'aura fait qu'une chose tres-simple
et tres-legitime; car de quel droit viens-tu, avec tes folies et tes
caprices, empoisonner la vie d'un homme qui etait libre et tranquille,
et qui t'a recherchee en mariage pour te faire participer a son
bien-etre, et non pour t'eriger en souveraine jalouse et imperieuse?
Je vois deja que tu as le talent de le rendre assez malheureux; cette
maniere de l'epier, de scruter toutes ses pensees, d'interpreter toutes
ses paroles, doit faire de ton amour un fleau. Et pourtant, Fernande,
personne n'etait plus douce et plus facile a vivre que toi; nul
caractere n'est plus eloigne du soupcon et de la tyrannie; nul coeur
peut-etre n'est plus genereux et plus juste, mais tu aimes, et voila
l'effet de l'amour sur les femmes quand elles ne savent pas se
vaincre. Prends garde a toi, ma chere; je te parle bien durement, bien
cruellement, mais tu cherches l'appui de ma raison, et je te l'offre
d'une main ferme. Je t'ai deja dit que, le jour ou la verite te serait
trop rude a supporter, tu n'avais qu'a cesser de m'ecrire, et que je
comprendrais ton silence. Je ne chercherai jamais a te guerir malgre
toi,
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