ontree assez
melancolique.
Mais je me rappelais avoir vu par la un site bien autrement digne de
remarque, et, quand le chemin se precipita de maniere a nous forcer de
descendre a pied, j'invitai mes naturalistes, fureteurs de buissons, a
jeter les yeux sur le cadre qui les environnait.
Au milieu des vastes plateaux mouvementes qui se donnent rendez-vous
comme pour se toucher du pied, en s'abaissant vers une sinuosite cachee
aux regards, le sol se dechire tout a coup, et dans une brisure
d'environ deux cents metres de profondeur, revetue de roches sombres ou
de talus verdoyants, coule, rapide et murmurante, la Creuse aux belles
eaux bleues rayees de rochers blancs et de remous ecumeux.
C'est cette grande brisure qui se decouvrait tout a coup au detour du
chemin et qui ravissait nos regards par un spectacle aussi charmant
qu'inattendu.
En cet endroit, le torrent forme un fer a cheval autour d'un mamelon
fertile couvert de blondes moissons. Ce mamelon, incline jusqu'au lit
de la Creuse, ressemble a un eboulement qui aurait coule paisiblement
entre les deux remparts de rochers, lesquels se relevent de chaque cote
et enferment, a perte de vue, le cours de la riviere dans les sinuosites
de leurs murailles dentelees.
Le contraste de ces apres dechirements et de cette eau agitee, avec la
placidite des formes environnantes, est d'un _reussi_ extraordinaire.
C'est une petite Suisse qui se revele au sein d'une contree ou rien
n'annonce les beautes de la montagne. Elles y sont pourtant discretement
cachees et petites de proportions, il est vrai, mais vastes de courbes
et de perspectives, et infiniment heureuses dans leurs mouvements
souples et fuyants. Le torrent et ses precipices n'ont pas de terreurs
pour l'imagination. On sent une nature abordable, et comme qui dirait
des abimes hospitaliers. Ce n'est pas sublime d'horreur; mais la douceur
a aussi sa sublimite, et rien n'est doux a l'oeil et a la pensee comme
cette terre genereuse soumise a l'homme, et qui semble ne s'etre permis
de montrer ses dents de pierre que la ou elles servent a soutenir les
cultures penchees au bord du ravin.
Quand vous interrogez une de ces mille physionomies que revet la nature
a chaque pas du voyageur, ne vous vient-il pas toujours a l'idee de la
personnifier dans l'image d'une deesse aux traits humains?
La terre est femelle, puisqu'elle est essentiellement mere. C'est donc
une deite aux traits changeants, et elle se symbolise par une
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