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bien des endroits elle bat le rocher, il faut monter et descendre
souvent, par consequent voir de differents plans, toujours heureux, ces
sites merveilleusement composes et enchaines les uns aux autres comme
une suite de rives poetiques.
La verdure etait dans toute sa puissance, et, cette annee-ci, elle est
remarquablement vigoureuse. C'etait l'_heure de l'effet_, le baisser
lent et toujours splendide du soleil.
Ah! monsieur, je ne souhaite au plus mechant homme de la terre que la
fatigue de cette course, et, si la vue d'une si belle nature ne le
dispose pas a une religieuse bienveillance pour le monde ou Dieu nous a
mis, je le trouverai assez puni de son ingratitude par la privation du
bien-etre moral et de la tendre admiration que ce pays inspire a qui ne
s'en defend point.
C'est une douceur penetrante, je dirais presque attendrissante, tant la
physionomie de cette region est naive et comme paree des graces de
l'enfance. C'est de la pastorale antique, c'est un chant de naiades
tranquilles, une eglogue fraiche et parfumee, une melodie de Mozart, un
ideal de sante morale et physique qui semble planer dans l'air, chanter
dans l'eau et respirer dans les branches.
Nous traversions parfois d'etroites prairies, ombragees d'arbres
superbes. Pas un brin de mousse sur leurs tiges brillantes et satinees,
et dans les foins touffus pas un brin d'herbe qui ne soit fleur.
Sur une nappe de plantes fourrageres d'un beau ton violet, nous
marchames un quart d'heure dans un flot de pierreries. C'etait un semis
de ces insectes d'azur a reflets d'amethyste et glaces d'argent qui
pullulent chez nous sur les saules et qui, de la, se laissent tomber en
pluie sur les fleurs. Elles en etaient si chargees en cet endroit et
elles s'harmonisaient si bien avec les tons changeants de ces petits
buveurs d'ambroisie, que cela ressemblait a une fantaisie de fee ou a
une illusion d'irisation dans les reflets rampants du soleil a son
declin.
Notre naturaliste n'avait que faire d'une denree si connue en France;
mais il ne pouvait se defendre d'en remplir ses mains pour les admirer
en bloc.
A propos de ces petites betes, il me dit tenir d'un naturaliste de ses
amis que, dans un moment ou ce fut la mode d'en faire des parures, on
les achetait a un prix exorbitant. Nos petits bergers de la Creuse ne
l'ont pas su! Si la mode revient, il faudra le leur dire. Au prix qui a
existe, de soixante a quatre-vingts francs le cent, la prairie ou nous
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