n'y a pas
d'etrangers au village.
Ce poisson est exquis, meme le fretin. Il a la chair ferme et
savoureuse.
La bonne et vraie peche se fait avant le jour; aussi vous pourriez
marcher la nuit tout le long de ce desert, avec la certitude de
rencontrer, a chaque pas, des figures affairees mais bienveillantes.
Les meuniers et les pecheurs vivent en bonne intelligence: filets et
bateaux sont pretes a toute heure, et ce continuel echange constitue une
sorte de communaute. On ne se gene guere pour lever la vergee qu'on
rencontre sur les ilots dans le courant. Mais c'est a charge de
revanche, et la grande prudence du Berrichon evite les reproches et les
querelles. Les pecheurs ont un soin de prevoyance qui ne viendrait
jamais a ceux de l'Indre. Quand on peche les etangs, ils achetent le
fretin et _rempoissonnent_ leur riviere pour l'avenir.
En traversant une ravissante prairie, nous eumes a saluer une
tres-vieille dame du hameau des Cerisiers, qui gardait ses vaches en
cornette et jupon court.
Elle etait seule dans cet Eden champetre, droite, rose, enjouee.
Moreau m'apprit que c'etait une personne riche, la mere d'un de nos
amis, avoue tres-considere dans notre ville.
--Comprenez-vous, nous dit-il quand nous fumes a quelques pas de cette
venerable pastoure, qu'une dame comme elle, qui a le moyen d'avoir trois
vacheres pour une, prenne son plaisir a etre la toute seule a son age,
par chaud ou froid, vent ou pluie?
--Ma foi, oui, pensai-je; je le comprends tres-bien. Je sais que son
fils, qui la respecte et la cherit, a fait son possible pour la fixer a
la ville aupres de lui. Mais elle s'y mourait d'ennui; le bien-etre et
le repos lui retiraient l'ame du corps. Il y a dans ces natures
agrestes une poesie qui ne sait pas rendre compte de ses jouissances,
mais que l'esprit savoure dans une quietude mysterieuse. Oui, oui,
encore une fois, l'aspiration a la vie pastorale, le besoin d'identifier
notre etre avec la nature et d'oublier tous les faux besoins et toutes
les vaines fatigues de la civilisation, ce n'est pas la un vain reve;
c'est un gout inne et positif chez la grande majorite de la race
humaine, c'est une passion muette et obstinee qui suit partout, comme
une nostalgie, ceux qui ont mene, des l'enfance, la vie libre et reveuse
au grand air.
Et, quand cette passion s'est developpee dans une contree adorable,
est-il un artiste qui ne la comprenne pas et qui ne la voie pas flotter
dans ses pensees comme
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