pas, dit-il; qui sait si ce n'est pas la que, par gout ou
par raison, je viendrai terminer mes jours?
Ah! qui sait, en effet? La meme idee m'etait venue pour mon compte,
quand je lorgnais cette splendide acquisition a laquelle il me faut
renoncer.
Mais l'aimable acquereur s'en fait un si grand amusement, que je suis
dedommage de mon sacrifice. Et puis il n'est pas dit absolument que la
voisine, l'affable et obligeante madame Anne, ne se laissera pas seduire
par mes offres un peu plus tard. Nous verrons, si elle n'a pas trop de
chagrin!
J'avoue que je ne me pardonnerais pas d'apporter un chagrin dans ce
village. Un chagrin surmonte par des considerations d'interet, c'est
presque une corruption exercee et subie. Certes, l'Eldorado champetre ou
nous voici recele ses plaies secretes comme les autres; mais je voudrais
bien que ma main n'y apportat pas une egratignure.
Ce remords n'empoisonnera pas les jouissances de notre nouveau
proprietaire. L'aubergiste qui lui cede la maisonnette est enchante de
pouvoir faire agrandir et arranger desormais son auberge. Il paye
quelques dettes avec le surplus, et se loue beaucoup de l'aventure.
IX
10 juillet.
Une voix creuse et sepulcrale me reveille, et une pensee triste me
traverse l'esprit.
Le pauvre petit maitre d'ecole qui demeure en face, dans notre _square_,
s'est laisse choir hier de son ane. On le disait brise. Il est peut-etre
mourant.
Sans doute, cette voix de la tombe, c'est celle du pretre qui vient
prier pour son ame.
J'entr'ouvre le rideau et je me rassure. Il n'y a la qu'un vieux
mendiant aveugle, recitant un long _oremus_ en l'honneur du genereux
Amyntas, qui vient de le bien traiter. Aussi, tandis que le
_proprietaire_ s'enfuit modestement dans les ruines de la forteresse,
pour echapper a la litanie du remerciment, le vieux fait les choses en
conscience et recite jusqu'au bout son antienne edifiante.
Une jolie petite fille de dix ans sort de la maison d'ecole, apporte au
pauvre un gros morceau de pain blanc, le lui met dans sa besace et lui
demande ou il veut aller.
Le bonhomme lui ordonne d'un air grave de le conduire au chateau. Elle
lui prend la main et l'emmene, en ecartant devant lui, avec son petit
sabot, les pierres qui pourraient le faire trebucher.
On dejeune chez madame Rosalie, on lui dit adieu, et on part pour le Pin
par le chemin d'en haut. On redescend avec Moreau a la Creuse, et on
fait encore une lieue dans les roch
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