plaisir aux passants.
--Oh! oh! me dit Amyntas, sommes-nous donc deja si loin de la vallee
Noire? Je n'y ai jamais vu un paysan prevenir les desirs d'un inconnu.
Je sais bien que ce n'est pas avarice, mais c'est mefiance ou timidite.
Le soleil baissait; nous ne savions pas ou nous trouverions a diner et a
coucher, et, une fois engages dans le ravin, ou la nuit se fait de bonne
heure et ou les sentiers ne sont vraiment pas commodes, il n'y a rien de
mieux a faire que de s'en remettre a la Providence.
Amyntas doubla le pas en chantant.
Chrysalidor ne chantait pas; il ne pensait meme plus a recolter des
insectes. Tandis que son compagnon s'enivrait de bien-etre et de
mouvement, il etait tranquillement ravi du charme particulier de ce
doux et agreste paysage. Tout savant exact et chercheur minutieux qu'il
est, il connait les jouissances de l'artiste, il n'a pas l'intelligence
atrophiee par l'amour du detail. Il comprend et il aime l'ensemble. Il
sait respirer la saveur du grand tout. Cependant il voyait comme qui
dirait des deux yeux. Il en avait un pour le grand aspect du temple de
la nature, et l'autre pour les pierres precieuses qui en revetent le sol
et les parois.
--Je vois ici, nous dit-il, une flore tout a coup differente de celle
que nous traversions il y a un quart d'heure. Voici des plantes de
montagne qui ont le _facies_ meridional: ou donc sommes-nous? Je n'y
comprends plus rien. Et cette chaleur ecrasante a l'heure ou l'air
devrait fraichir, la sentez-vous? Il n'y a pourtant pas un nuage au
ciel.
--Si je la sens? repondit Amyntas. Je le crois bien! Nous sommes pour le
moins en Afrique.
--Il serait fort possible, reprit le savant d'un air absorbe, que nous
fissions ici quelque _rencontre_ etonnante!
--Oh! n'ayez pas peur, monsieur! s'ecria Moreau, qui crut que notre
savant s'attendait a rencontrer tout au moins quelque lion de l'Atlas.
Il n'y a point ici de mechantes betes.
Le chemin fit encore un coude, et le village, le vrai village cherche,
se presenta magnifiquement eclaire, sous nos pieds. Il faut arriver la
au soleil couchant: chaque chose a son heure pour etre belle.
C'est un nid bati au fond d'un entonnoir de collines rocheuses ou se
sont glissees des zones de terre vegetale. Au-dessus de ces collines
s'etend un second amphitheatre plus eleve. Ainsi de toutes parts le vent
se brise au-dessus de la vallee, et de faibles souffles ne penetrent au
fond de la gorge que pour lui donner l
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