u service. C'est un bon enfant,
bien doux, _fait a tout_, comme moi. Vous me demanderez ce que je fais,
a present; je n'en sais rien, une chose et l'autre; je ne peux plus
travailler. Voyez: en chassant, j'ai mal tourne mon fusil; j'ai eu la
main traversee, et l'autre moitie de la charge m'a caresse la tete. On
dit dans le pays qu'il ne m'y est pas reste assez de plomb. Je crois
bien! pendant quinze jours, le medecin n'a pas fait autre chose que de
m'en arracher. Tous les matins, je l'entendais dire en sortant: "C'est
un homme mort!" Et moi, je me dressais sur mon lit pour lui crier, du
mieux que je pouvais: "Vous dites des betises, je n'en veux pas mourir,
et je n'en mourrai pas." Apres que j'en ai ete revenu, j'ai recommence a
pecher et a chasser. J'ai voulu encore un peu travailler; mais le
travail m'a porte malheur. Un maladroit m'a demis l'epaule en me jetant
a faux un sac de ble du haut d'une voiture. Ca ne fait rien, je marche,
je chasse et je peche toujours. Je conduis les artistes et les
voyageurs. Je sais les chemins comme personne, et je vous dirais comment
sont faits tous les cailloux de la Creuse. Je fais les commissions du
chateau et de l'auberge, j'approvisionne l'un et l'autre avec mon
poisson. Je me passe de tout quand je n'ai rien; je n'use pas les draps,
je dors une heure sur douze. Je passe mes nuits dans l'eau a guetter les
truites. Dans le jour, si je suis las, je fais un somme ou je me trouve.
Si c'est sur une pierre ou sur un banc, j'y dors aussi bien que sur la
paille. Je ne me soucie point de la toilette. Fetes et dimanches, j'ai
les memes habits que dans la semaine, puisque je n'ai que ceux que mon
corps peut porter. Je suis toujours de bonne humeur, soit qu'on me donne
cinq francs ou cinquante centimes pour mes peines. Le voyageur est
toujours aimable, et, pourvu que je coure et que je cause, je suis
content de m'instruire. Voila! Quand je ne serai plus bon a rien, ma
famille s'arrangera pour me nourrir, et, si elle me laisse crever comme
un chien, ce sera tant pis pour elle au dernier jugement.
Des anciens chemins perilleux par ou l'on arrivait a Chateaubrun, nous
ne retrouvames plus que l'emplacement. On y descend doucement par le
plateau, et la nouvelle route qui cotoie tranquillement le precipice a
ote beaucoup de caractere a cette scene autrefois si sauvage.
La ruine est toujours grandiose. Le marquis de _notre village_ l'a
achetee, avec son vaste enclos, pour deux mille cinq cents fra
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