cet examen, madame Anne cherche une cheminee. Elle trouve un
bloc bien expose pour que la fumee ne nous incommode pas. Elle ramasse
du bois mort, elle allume son feu et retrousse ses manches.
Sylvain veut laver la poele.
--Ah! malheureux! que faites-vous la? s'ecrie-t-elle. Laver la poele
d'avance! vous voulez donc faire manquer la peche? Ca porte malheur au
pecheur; ne le savez-vous point!
En effet, Moreau n'est pas heureux; il s'en va tout habille dans les
rochers submerges et dans les courants, lancant son filet avec maestria,
avec rage, avec majeste, avec douleur: rien n'y fait, pas de truites,
pas de saumons! Mais nous n'etions pas si ambitieux. Une friture de
barbillons sortant de l'eau, rissoles dans l'huile et servis brulants,
c'est un excellent mets. Les poulets froids, les oeufs mollets, les
artichauts crus, la galette, les guignes et le cafe, voila, j'espere, un
festin royal! La salle a manger est si belle et l'appetit si ouvert!
Moreau, ereinte, trempe comme un canard, rit quand on s'etonne de son
regime. Il boit et mange sobrement, fait un somme sur l'herbe, et
s'eveille gai comme un pinson, pret a recommencer.
Madame Anne a dejeune de bon coeur avec nous; mais son fils, _M. Fred_,
s'est exalte. Il devient d'une loquacite desesperante. Heureusement, il
s'en retourne au village avec sa mere et le cheval portant les debris du
festin.
Nous reprenons le cours de la Creuse jusqu'au roc du Cerisier, le plus
beau de toute cette region. Il surplombe la riviere qui bat sa base, et
Moreau, qui nous a fait grimper par-dessus la derniere fois, veut nous
faire recommencer l'ascension a cause de l'ane. Mais nous nous obstinons
a passer sur les roches a fleur d'eau, et l'ane y passe sans brancher.
De memoire d'ane, on n'avait vu pareille chose; mais aussi quel ane!
Derriere le grand rocher, sur un espace d'une centaine de pas, s'etend
le site ardu et severe que nous avons baptise le Sahara. Pas un souffle
d'air, pas un arbre pour s'abriter, pas une place herbue pour separer
les pieds du roc brulant.
En plein midi, il y a un peu de quoi devenir fou; mais algira et gordius
apparaissent instantanement, comme s'ils attendaient nos naturalistes.
Alors, tout est oublie: le soleil ne darde pas de feux dont on se
soucie. Voila nos enrages tout en haut du precipice, oubliant de songer
aux viperes qui abondent et au moyen de redescendre tout ce qu'ils ont
gravi. N'importe, les captures sont effectuees, et on descen
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