d'une certaine plante, qu'il est
souvent impossible d'elever des chenilles transportees d'un lieu a un
autre.
C'est toute une science pratique que l'elevage des chenilles, et
certaines educations font le desespoir des entomologistes. Pourtant,
ici, si le climat se rapproche de celui de l'Afrique et de la Provence,
la flore en differe a beaucoup d'egards. Par exemple, pour algira, je ne
vois pas dans ces regions, et je cherche en vain dans la _Flore
centrale_ de Boireau (l'ouvrage le plus complet et le plus consciencieux
possible) le moindre analogue avec le grenadier.
Ces etres non domesticables, que l'on croit invariablement soumis aux
lois generales et inflexibles de l'instinct, sont donc susceptibles de
modifier le premier de tous les instincts, celui de l'alimentation, en
raison des ressources que leur offre le milieu ou ils se trouvent.
Gordius doit vivre sur les bruyeres, et pourtant il n'y a pas de
bruyeres dans la region ou nous l'avons rencontre.
Que mangent donc ici les chenilles d'algira et de gordius? Grande
question de nos entomologistes; question qui fait rire au premier abord,
mais qui se rattache a une question fondamentale en histoire naturelle
et meme en philosophie: a savoir si certains animaux obeissent
aveuglement a des necessites fatales, ou s'ils ont, dans la mesure de
leurs besoins, le discernement raisonne qu'on leur refuse. Moi, je
penche pour la derniere hypothese.
Et, puisque nous sommes en Creuse, demandons-nous pourquoi le saumon
quitte les eaux salees pour venir deposer sa progeniture dans les eaux
douces. Lui qui est un grand voyageur, fait-il deux ou trois cents
lieues contre le courant, dans les meandres et dans les obstacles des
fleuves et des rivieres torrentueuses, sans savoir ou il va, sans avoir
un projet, un but, une volonte, par consequent une idee? Allons donc!
Raconte-nous, o algira! l'histoire de la petite tribu oubliee dans les
grandes crises de l'atmosphere terrestre, sur le petit rocher ou te
voici. Dis-nous quelle myrtacee a fleuri autour du berceau de tes
ancetres; si la, dans quelque roche inaccessible, vegete encore la
plante nourriciere, aussi peu soupconnee des statisticiens de la flore
centrale, que tu l'etais toi-meme de ceux de la faune entomologique il
n'y a qu'un instant!
Je crains de trop m'eloigner de _mon village_. Mais il s'agit de
description, et je ne peux pas tout a fait isoler le tableau de son
cadre.
Qu'on prenne donc note de ceci, que mon
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