a fond un petit coin de ce
monde reel que quelques amis nous ont reproche de voir en beau. Comme si
c'etait notre faute! Nous serons plus realiste, puisqu'il parait que
nous ne l'avons pas toujours ete assez. Pourquoi non? On comprend tous
les jours, je ne dirai pas quelque chose, mais beaucoup de choses.
Le fait est que, dans notre situation presente, nous pouvons tres-bien
connaitre la couleur et le dessin de la vie rustique, sans pouvoir
peut-etre penetrer assez avant dans la vie morale du paysan. Il se farde
peut-etre un peu devant nous, le ruse qu'il est! Nous ne dormons pas
sous son toit, nous ne vivons pas avec lui cote a cote a toutes les
heures du jour. Il a son travail, nous avons le notre. Quand nous nous
rencontrons, il a souvent des habits et sa belle humeur du dimanche; ou
bien, dans la semaine, avec son sarrau de toile sur le dos et sa pioche
a la main, il prend ce grand air serieux et reveur qui lui vient
toujours quand il regarde la terre. Chez lui, en famille, il est
peut-etre l'horrible scelerat qui, en d'autres contrees, a frappe les
yeux de notre grand Balzac et de plusieurs autres romanciers energiques.
J'ai cependant bien de la peine a croire qu'il en soit ainsi partout et
meme qu'il y ait une campagne ou l'_homme de campagne_ soit si pervers
et si malin. J'ai vu, partout ou j'ai passe, l'ingenuite de l'enfant
chez ces hommes qui ne sont jamais que des enfants a barbe noire ou
blanche. L'enfant aussi est un grand diplomate quand il s'agit de se
faire gater; mais ses finesses sont _cousues de fil blanc_, on y cede
sans en etre dupe.
Enfin, j'ai toujours vecu optimiste en principe et pas plus abuse qu'un
autre en pratique; je crois savoir, peut-etre plus que bien d'autres,
que la misere est mariee avec la paresse, c'est-a-dire avec l'ennui et
le decouragement; que l'ambition du mieux, dans les conditions
difficiles, est fiancee avec l'astuce et l'egoisme; mais, si je regarde
la classe industrielle riche ou pauvre, la caste nobiliaire progressive
ou retardataire, la classe artiste aspirante ou parvenue; si j'examine
enfin toutes les classes de la societe, j'y vois les memes qualites et
les memes vices que chez le paysan. Seulement, chez les gens _eduques_,
les qualites sont plus habiles a se faire valoir et les vices plus
habiles a se cacher. C'est donc parce que ce sournois de paysan est
maladroit dans ses ruses et tres-facile a penetrer, qu'il serait
considere comme le type de la faussete? J'
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