s eaux vives de la Creuse, et ce n'est
point la un mets a dedaigner. On n'a pas encore a se tourmenter ici de
pisciculture, a moins que ce ne soit pour etudier les procedes de
l'ingenieuse et bonne nature, afin de les appliquer en d'autres pays.
Outre ce menu, nous avions cueilli en route de beaux ceps. Tout cela
etait fort allechant pour des gens affames, meme ces pauvres poulets qui
couraient encore. Mais il fallait une cuisine et une femme; car aucun de
nous ne possedait les utiles talents de l'auteur des _Impressions de
voyage_.
--De quoi diable vous inquietez-vous? dit le guide. Il y a ici une
auberge dont la maitresse cuisinerait pour un archeveque. C'est elle qui
vous pretera les chambres ou vous voila, a condition que vous irez diner
chez elle, en haut du village. Est-ce convenu? restez-vous ici? Je vas
commander la soupe. En attendant, descendez ce chemin, et vous vous
trouverez a la rencontre de la petite riviere et de la grande. Restez-y
une heure et revenez: tout sera pret, meme le cafe, car je me souviens
que vous n'aimez point a vous passer de ca.
--Mais je me reconnais tres-bien, lui dis-je; il n'y a point de pont en
bas du village.
--Si fait, il y en a un maintenant. Allez devant vous.
Nous trouvames le chemin rapide, mais commode, le pont tres-joli et le
confluent des deux torrents admirable de fraicheur et de mystere.
Le soleil etait deja couche pour nous, il etait descendu derriere les
rochers qui nous faisaient face; mais, au loin, il envoyait, a travers
ses brisures, de grandes lueurs chaudes et brillantes sur les fonds
d'emeraude de la gorge.
Quand on est tout au fond de cette breche qui sert de lit a la Creuse,
l'aspect devient quelquefois reellement sauvage. Sauf les pointes
effilees de quelques clochers rustiques qui, de loin en loin, se
dressent comme des paratonnerres sur le haut du plateau, et quelques
moulins charmants echelonnes le long de l'eau, avec leurs longues
ecluses en biais ou en eperon, qui rayent la riviere d'une douce et
fraiche cascatelle, c'est un desert.
Pour peu que l'on se trouve engage dans un de ses coudes rocailleux,
assez escarpes pour ne pas livrer passage aux troupeaux, on se croirait
au sein d'une nature apre et desolee. Mais, un peu plus loin, la
riviere tourne, et la scene change. Le ravin s'adoucit un instant et
laisse couler des zones d'herbe fraiche et de beaux arbres, jusqu'a de
delicieuses pelouses, ou les pieds meurtris se reposent dans du vel
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