fierte.
Je fais les avances: etranger, c'est mon devoir. La reponse est prompte,
tres-familiere, mais vraiment bienveillante.
On parle tres-bien ici, encore mieux que dans la vallee Noire, ce qui
n'est pas peu dire. Plus nous touchons a la limite de notre langue
d'_oil_, plus le langage s'epure, plus l'accent s'efface. J'aurais cru
le contraire, mais c'est ainsi. Ici, point de _j'avons, j'allons_, etc.,
a la premiere personne. Pas plus que chez nous on ne fait cette faute
grossiere.
On se sert meme ici de mots qui sentent la civilisation et qui depassent
le vocabulaire a moi connu du bas Berry. On dit _enorme, immense_, ce
qui parait singulier dans ces bouches rustiques. Sylvain, notre cocher
berrichon, croit qu'on se sert de mots latins et ouvre de grands yeux.
Le seul mot patois qui se glisse dans la conversation quelquefois, c'est
_ie_ pour _elle_.
Les femmes d'ici sont tres-superieures en caquet facile ou sense a
celles de chez nous, mais elles ont moins de retenue.
Tout en causant, j'apprends une particularite. Elles travaillent
beaucoup plus que les hommes, et se piquent d'etre plus actives, plus
courageuses et plus avisees. Elles se plaignent de la fatigue, mais
elles s'en prennent au rocher, et non au pere ou au mari, qui me parait
etre l'enfant gate de chaque maison.
Comme chez nous, la maternite est tres-tendre; de plus, les femmes sont
orgueilleuses de la beaute de leurs enfants, et chacune va chercher le
sien pour vous le montrer.
J'en regarde un tout seul de l'autre cote de la rue. Il est fort
barbouille, ce qui ne l'empeche pas d'avoir une tete d'ange. C'est un
ange qui a mange des guignes, voila tout; et pourquoi pas?
Je m'approche pour l'admirer. Une belle femme s'avance sur le perron et
me crie d'un air brusque et charmant:
--Il est a moi, celui-la. Il n'est pas plus mal _bati_ qu'un autre,
_hein?_
_Bati_ n'est pas le mot dont elle se servit; elle jura bel et bien,
mais d'une voix douce et avec l'aisance triomphante d'une reine a qui
tout est permis. Realite, tu ne me genes pas!
Du haut d'un chemin rocheux qui s'en va, comme il peut, rejoindre la
grande route, on embrasse tout le village. De quelque cote qu'on le
regarde, il est charmant, ce village privilegie.
Les collines qui l'enserrent ont des formes suaves; ses masses de
verdure sont bien disposees, ses rochers ont, de loin, ce beau ton lilas
qui est particulier aux micaschistes des bords de la Creuse, couleur
tendre qui
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