in peuvent atteindre.
Somme toute, la contree est riche, le vin tres-potable, le pain
excellent, les legumes aussi. La grande variete des produits est
toujours une source d'aisance pour le paysan, parce que bien rarement
tout manque a la fois. C'est ce qui leur fait dire avec raison que les
_chetifs_ pays sont les meilleurs. En effet, dans les terres legeres et
inegales des varennes, on trouve parfois plus de ressource que dans
l'uniforme et opulent fromental. On possede dix fois plus d'espace, et
bien qu'une _boisselee_ de chez nous paraisse en valoir dix des autres,
le resultat general prouve que ces terres mediocres rapportent, en
proportion de leur prix, un bon tiers de plus que celles de premiere
qualite.
Cela provient surtout de ce que l'on s'ingenie davantage.
--Nous nous _artificions_ a toute chose, me disait un paysan de par la.
Nous savons faire pousser le noyer et le chataignier cote a cote, chose
reputee impossible dans vos endroits. Nous greffons toute sorte d'arbres
fruitiers les uns sur les autres: tant pis pour ceux qui manquent. Nous
ne craignons pas de recommencer, pas plus que d'apporter de la terre a
dos de mulet, a dos d'ane et meme a notre dos de chretien, dans des
hottes, pour nous faire un petit jardin dans un trou de rocher. On
_s'invente_ tout ce qu'on peut, et, si les courants d'eau emportent
l'ouvrage a la mauvaise annee, on recommence un peu plus haut, on
endigue, on s'arrange et on se sauve.
Ce paysan industrieux et entreprenant est, et je le repete, moins
solennel et moins poetique que le notre: il ressemble plus a un
Auvergnat moderne qu'a un vieux Gaulois. Il manque de cette majeste
qu'on peut appeler _bovine_ chez l'homme de la vallee Noire; mais il est
plus interessant dans son combat avec la terre, et, s'il reve moins, il
comprend davantage.
Encore un trait caracteristique: le paysan de chez nous a peur de l'eau.
Il croit que le bain de riviere est malsain, le dimanche, pour qui a sue
la semaine. Il croit que la natation est un plaisir d'oisif. Il se noie
dans un pied d'eau.
Ici, tout le monde va a l'eau comme des canards. Le dimanche soir,
toute la population nage, plonge, dresse des bambins a se jeter dans les
bassins profonds du haut des rochers et a pecher a la main sous les
blocs de la riviere. Quelques femmes nagent aussi. On se partage gaiment
la peche et on rentre pour la manger toute fraiche en famille, sauf les
belles pieces, qui sont vendues a Argenton quand il
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