rement planter son treteau dos a dos avec
lui.
Les deux musettes braillent chacune un air different. A distance, c'est
un charivari effroyable. Mais telle est la puissance de l'instrument,
que, de pres, l'un ne peut etouffer l'autre et que le cri strident de la
vielle du petit se perd dans le mugissement du grand bourdon de
Blanchet.
Et puis Blanchet, de Conde, est dans la force de l'age et du talent.
C'est un veritable maitre sonneur, plus instruit et mieux doue que le
vieux Dore. Il n'a pas dedaigne les traditions et sait de fort belles
choses, aussi bien pour la messe que pour le bal. Il sait accompagner le
plain-chant et s'accorder avec trois autres cornemuses a l'offertoire.
Je l'ai entendu une fois consacrer la ceremonie du chou, a un lendemain
de noce, par un chant grave d'une originalite extreme et d'une facture
magnifique.
Je le priai de venir le lendemain pour moi seul, et il me joua des
bourrees de sa composition, tres-bien faites et nullement pillees dans
les airs de vaudeville que nos sonneurs modernes ramassent, tant bien
que mal, sur les routes et dans les cabarets.
Aussi, quand le pauvre Dore vint me porter sa plainte, a la fin de
l'assemblee, me remontrant que Blanchet, de Conde, avait mal agi en
faisant danser sur une paroisse de son ressort; quand il me montra en
pleurant son gentil vielleux et les vingt-six sous de sa journee, tous
frais faits, je fus attendri sans doute, et lui donnai le dedommagement
qu'il pouvait reclamer d'une vieille amitie; mais je ne pus prendre
parti contre le maitre sonneur de Conde, qui etait dans son droit et
qui, avec trois pintes de vin dans le ventre, n'a jamais failli aux lois
de la mesure.
La scene fut assez pathetique. Dore gemissait et me reprochait
doucement, mais tristement, d'etre de ceux qui lui avaient fait _du
tort_.
J'avais prone d'autres maitres sonneurs autrefois: Marcillat, du
Bourbonnais, ensuite Moreau, de la Chatre, et maintenant ce maudit
Blanchet, de Conde, dont pourtant il parlait avec un certain respect.
Mais pourquoi ne m'etais-je pas contente de lui, le vieux sonneur de
Saint-Chartier, l'unique, l'inevitable des anciens jours?
--Il fut un temps, disait-il, ou, quand vous vouliez entendre la
cornemuse ou faire danser la jeunesse, c'etait toujours moi que vous
appeliez. Et puis, tout d'un coup, vous avez eu une dame de Paris, une
fameuse Pauline Viardot, qui voulait ecrire nos airs, et vous avez
demande Marcillat, qui etait a plus d
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