ncs. Il la
tient fermee, et il avait bien voulu nous en confier les clefs.
Nous vimes que ce noble lieu etait moins frequente qu'autrefois. L'herbe
haute et fleurie du preau etait vierge de pas humains. Toutes choses,
d'ailleurs, exactement dans le meme etat qu'il y a douze ans: la grande
voute d'entree avec sa double herse, la vaste salle des gardes avec sa
monumentale cheminee, le donjon formidable de cent vingt pieds de haut
d'ou l'on domine un des plus beaux sites de France, les geoles obscures,
et cet etrange debris de la portion la plus belle et la plus moderne du
manoir, le _logis_ renaissance que, dans ma jeunesse, j'ai vu intact et
merveilleusement frais et fleuri de sculptures, aujourd'hui troue,
informe, demantele et dressant encore dans les airs des atres a
encadrements fleuronnes d'un beau travail.
Le marquis a achete, dit-il, cette ruine pour la preserver du vandalisme
des bandes noires. Il s'y est pris un peu tard.
Telle qu'elle est, c'est un romantique debris ou, au clair de la lune,
on voudrait entendre l'admirable symphonie de _la Nonne sanglante_ de
Gounod, ou mieux encore _la Chasse infernale_ de Weber.
En plein midi, cette solitude avait encore quelque chose de solennel.
Une multitude de tiercelets et de cheveches effarouches se croisaient
dans les airs, sur nos tetes, avec des milliers de martinets
glapissants. C'etaient des cris aigus, des rales etranges, une
agitation sauvage et des querelles inouies.
Nous fumes etonnes de voir des moineaux niches effrontement au beau
milieu de cette societe d'oiseaux de proie, toujours en chasse par
centaines autour d'eux. Cela faisait penser au petit vassal du temps
passe virant dans la caverne des seigneurs feodaux et abritant ses
petites rapines sous les grandes.
Nous fumes temoins d'un drame entre tous ces pillards.
Un pauvre scarabee, echappe, demi-mort, au large bec d'un martinet, fut
happe au passage, sur le haut d'une tour, par une femelle de moineau.
Survint l'epoux a l'air mutin, a la moustache noire, herissant ses
plumes, faisant grand bruit et menace au martinet, qui voulait reprendre
sa proie, quand survint a son tour le troisieme larron, la crecerelle,
attiree par la voix imprudente de ces petites gens. Elle sortit, muette
et agile, du sommet d'une tour voisine, n'osa s'attaquer au martinet,
qui ne paraissait pas la craindre, et se dirigea sur les moineaux d'une
aile si rapide et si sure, que tout semblait fini pour eux. Mais, s'ils
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