de toutes parts de rochers
effroyables. Il est visible que quelque bon genie me soutint dans ma
chute pour m'empecher d'y perir; et je m'en serois appercu des-lors
si j'avois eu toutes les connoissances que j'ai acquises depuis.
Mais la pensee ne m'en vint point, et j'attribuai a un heureux
hasard ce qui etoit l'effet d'une protection particuliere de quelque
fee, de quelque genie favorable, ou de quelqu'une de ces petites
divinites qui voltigent dans le pays des romans en plus grand nombre
que les papillons ne volent au printems dans nos campagnes. On
n'aura cependant pas de peine a comprendre que dans la situation ou
je me trouvai, apres avoir leve les yeux au ciel pour contempler la
hauteur enorme d'ou j'etois tombe, et avoir envisage toute l'horreur
des lieux qui m'environnoient, je dus m'abandonner aux plus tristes
reflexions. "pauvre Fan-Feredin, que vas-tu devenir dans cette
horrible solitude... par ou sortiras-tu de ces antres profonds... tu
vas perir..." O que je dis de choses touchantes, et que je me
plaignis eloquemment du destin, de la fortune, de mon etoile, et de
tout ce qui me vint a l'esprit! Mais on va voir combien j'avois tort
de me plaindre; et par le droit que j'ai acquis dans le pays des
romans de faire des reflexions morales, je voudrois que les hommes
apprissent une bonne fois par mon exemple, a respecter les decrets
supremes qui reglent leur sort, et a ne se jamais plaindre des
evenemens qui leur semblent les plus contraires a leurs desirs.
Cependant la nuit qui approchoit, redoubloit mon inquietude, et je
me hatai de profiter du peu de jour et de forces qui me restoient
pour sortir, s'il etoit possible, de l'abime ou j'etois. En vain
aurois-je essaye de gagner les hauteurs: elles etoient trop
escarpees. Il ne me restoit qu'a chercher dans les fonds une issue
pour me conduire a quelque endroit habite, ou du moins habitable.
Nul vestige de sentier ne s'offrit a ma vue. Sans doute j'etois le
premier homme qui fut descendu dans ce precipice. Je fus ainsi
reduit a me faire une route a moi-meme, et en effet je fis si bien,
en grimpant et sautant de rocher en rocher, tantot m'accrochant aux
brossailles, tantot me laissant couler sur le dos ou sur le ventre,
qu'apres avoir fait quelque chemin de cette maniere, j'arrivai a un
endroit plus decouvert et plus spatieux.
Le premier objet qui me frappa la vue, fut une espece de cimetiere,
un charnier, ou un tas d'ossemens d'une espece singuliere. C'etoient
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