duit a l'aumone.
Ces epreuves, repris-je a mon tour, me paroissent tres-peu
agreables; mais j'en ai vu d'autres qui ne le sont gueres davantage.
Que dites-vous, par exemple, ajoutai-je, d'un pauvre amant, qui
lorsqu'il est a la veille d'epouser tout ce qu'il aime, voit sa
princesse enlevee par des inconnus, et transportee dans un lieu
inconnu, sans qu'apres mille recherches il puisse en apprendre la
moindre nouvelle? Vous m'avoueerez que voila une des situations les
plus favorables pour les sentimens tragiques et les beaux
desespoirs.
Ah! Cher prince, s'ecria le Prince Zazaraph, quel souvenir me
rappellez-vous? Je l'ai essuyee cette cruelle epreuve, et vous
pouvez demander a tous les echos de nos forets tout ce qu'elle m'a
coute de regrets douloureux, de sanglots pathetiques, et d'helas
touchants. Ouei, je me serois donne mille fois la mort, si on n'avoit
eu la precaution, comme c'est l'ordinaire en ces occasions, de
m'oter epee, poignard, pistolets, et tout instrument qui tue. C'est
pour eviter les funestes effets d'un pareil desespoir, qu'au dernier
enlevement de ma princesse j'ai ete condamne a dormir d'un si long
sommeil, parce qu'on n'a pas cru que je pusse soutenir sans mourir
une seconde epreuve de cette nature. Vous auriez du moins pu, lui
dis-je, dans un si triste accident vous munir d'un portrait de votre
princesse, ou du moins de quelques petits meubles qui auroient ete a
son usage. Cela est d'une ressource infinie; car j'ai connu un
cavalier appelle le Marquis De Rosemont, qui ayant ainsi trouve le
moyen d'avoir jusqu'aux chemises, aux bas et aux cotillons de sa
defunte Donna Diana, passoit une bonne partie du tems a se les
mettre sur le corps, a les contempler et a les baiser l'un apres
l'autre avec une douceur inexprimable. Il est vrai, me repondit le
prince, aussi ne trouvai-je alors de consolation qu'a contempler et
a baiser mille fois par jour le portrait de l'adorable Anemone. Le
prince tira en meme tems le portrait, et me le montra.
Dieux! Quel fut mon etonnement? Ami lecteur, je ne vous ai pas trop
prepare a cet incident; mais il est vrai qu'alors je ne m'y
attendois pas non plus moi-meme; ainsi votre surprise ne sera pas
plus grande que la mienne. Je crus reconnoitre dans le portrait ma
soeur, l'infante Fan-Feredine. Il est vrai qu'elle me paroissoit
extraordinairement embellie; mais enfin c'etoient ses traits et
toute sa physionomie: de sorte que je n'aurois pas balance un moment
a croire q
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